
Du bâtiment à haute performance énergétique au bâtiment habitable
Vers un Kamasutra de l'énergétique
On voit fleurir des guides d’utilisation, des campagnes de sensibilisation sur le bon usage, et autres réflexions pour trouver le moyen d’influer sur le comportement des utilisateurs de bâtiment à haute performance énergétique. À l'occasion, on met en place le bridage de consignes, voire le rationnement énergétique. Tout cela relève d'une tendance assez générale à la correction du comportement déviant d'un usager considéré comme l'un des paramètres (difficile à régler...) de fonctionnement du système. Cette posture est très révélatrice de la logique d'action massivement à l'œuvre dans le domaine du bâtiment en général, et de l'énergétique en particulier.
Le processus peut se résumer ainsi : à partir d'un usage imaginé par des professionnels, un bâtiment est conçu. Puis, si (ou plutôt, lorsque) la réalité s'avère différente des prévisions… on cherche les moyens d'adapter (là aussi par des techniques) la réalité humaine à l'objet technique conçu.
Une métaphore automobile permettra peut-être de visualiser la situation : avec la généralisation des bâtiments à HAE, tout se passe un peu comme si le législateur avait décidé, qu’à partir de maintenant, tout le monde roulerait en Ferrari (hybride, peut-être, mais en Ferrari tout de même). Malheureusement, sans demander si les gens savent conduire tout court, conduire des voitures de sport à plus forte raison et si de tels véhicules sont adaptés à tous les usages. Par ailleurs, le législateur, qui encourage la distribution et la lecture de modes d'emploi des Ferrari (parfois en italien, version française non disponible) envisage des mesures correctives pour toute personne qui roulerait trop vite (ou pas assez vite), ou entretiendrait mal sa voiture…
Et il n'est bien entendu pas pour autant question de revenir aux crachotants tacots d'il y a 40 ans, dont on sait bien l'impact qu'ils ont.
Vous trouvez que ça commence bien ?
Introduction
L'énergie traverse nos vies. Elle est au cœur de nos sociétés, sous des formes tellement variées que sa nature même en devient insaisissable. On cherche à « l'économiser », et pourtant chaque jour amène son lot de gaspillages, de services énergétiques plus ou moins utiles, plus ou moins raisonnés. Les dernières décennies ont été riches de découvertes et d'innovations en matière d'efficacité énergétique. Les ingénieurs inventent des systèmes toujours plus performants, des rendements toujours plus élevés, des bâtiments à haute performance énergétique… au moins sur le papier. Car lorsque un bâtiment à haute performance énergétique est livré, « lâché » dans le monde réel, il en va souvent tout autrement. Les déceptions (surconsommations, désordres, relations difficiles, etc.) sont alors au rendez-vous, et celui qu'on appelle « l'utilisateur », « l'habitant » ou « l'usager » en est bien souvent considéré, par les concepteurs et/ou les exploitants, la cause principale.
De l'autre côté du miroir, ce fameux utilisateur est également confronté à des déceptions : il fait trop chaud, trop froid, c'est trop compliqué, on ne sait pas quel bouton agit sur quoi, personne ne vous écoute, etc. On peut certes se demander qui a tort et qui a raison. Cela n'a pas souvent, dans l'histoire de l'humanité, débouché sur des solutions douces… On peut aussi se demander s’il ne faut pas remettre l'ouvrage entier sur le métier, et si les méthodes « scientifiques » que l'on a toujours appliquées restent valides. Depuis Newton, l'expert est « sorti » de son objet d'étude. Peut-être est-il temps qu'il s'y replonge…
C’est ce nécessaire cheminement dont je vous décris l’origine dans les quelques pages qui suivent.
Consommer de l’énergie ?
Il est courant de dire qu'un bâtiment « consomme de l'énergie ». Affinons notre compréhension du sens d'une telle phrase, en nous aidant d'un schéma… Considérons donc un bâtiment, dans son sens le plus large, à savoir « une enveloppe définissant un intérieur et un extérieur ». Il peut s'agir d'une construction en dur (maison de lotissement, appartement haussmannien, immeuble de bureau, etc.), ou d’une structure plus légère (mobile-home, yourte, tipi, tente de festival, etc.).
Cet objet, nous pouvons l'imaginer vivant librement, posé à la merci du climat, sans occupation et sans système technique. Il s'agit alors d'une pure enveloppe. Son ambiance intérieure va entrer en « résonance » avec les évènements climatiques, et osciller dans une certaine plage de niveaux énergétiques, évaluables en conditions de température et d’humidité.
Par ailleurs, on peut considérer que les bâtiments sont en général construits pour accueillir un « usage ». Cela peut consister à l’habiter, à travailler le métal, à faire du design sur ordinateur, à accueillir des collections de timbres, à faire transpirer des gens (un sauna) ou à fabriquer du chocolat…
D'un point de vue énergétique, cet usage est compatible avec une certaine plage de niveaux énergétiques. On peut ainsi dire que pour travailler, on a besoin d'une température comprise entre 17 et 26°C, plage dans laquelle on estime que les ajustements d’habillement ou d’activité sont tolérables. Nous pouvons reporter sur notre schéma cette « plage énergétique » compatible avec l'usage prévu, et la mettre en face de la zone précédemment dessinée pour le bâtiment.
La mise en regard de ces deux zones nous permet de mieux visualiser plusieurs cas.
Cas n°1 : Il y a un bâtiment, mais qui ne correspond à aucun usage
Un bâtiment inutile, au sens littéral… Il s’agit par exemple d’un logement laissé vacant, mais qui pourrait accueillir quelqu'un. Cela paraît absurde, et c'est pourtant très courant : un hangar agricole vide parce qu'il n'a servi que de support à un champ photovoltaïque, une résidence secondaire laissée vacante, une école (occupée moins d'un quart du temps), les exemples ne manquent pas. Comme des ressources ont tout de même été mobilisées pour ériger ce bâtiment, il y a un enjeu à trouver des usages complémentaires. Ce n’est pourtant pas notre sujet aujourd’hui…
Cas n°2 : L'usage coïncide avec la zone de fonctionnement naturel du bâtiment
Nous appellerons ces situations la « zone passive » : il n'y a rien à changer, pas d'énergie à injecter dans le système. C'est par exemple ce qui se produit lorsque je campe ou dès que le chauffage de mon logement est arrêté à la belle saison : je m'accommode de la réponse naturelle du local. Tout espace est finalement passif tant qu’on estime son confort suffisant sans ajustement comportemental excessif.
Cas n°3 : L’usage ne coïncide plus avec la zone de fonctionnement naturel du bâtiment
Nous allons donc chercher à étendre cette zone de fonctionnement, et pour cela, avoir recours à cette chose-difficile-à-définir-mais-qui-résout-tous-les-problèmes : l'énergie. C’est l'injection d'énergie dans l’enveloppe qui nous permet d'étendre sa zone de fonctionnement pour la rendre compatible avec l’usage.
Ce schéma très simple nous permet de visualiser très concrètement ce qu’on appelle la consommation énergétique d'un bâtiment. C’est l'écart à combler entre le fonctionnement naturel de l’enveloppe et les exigences de l'usage.
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