
Interview de Benoit Montels - chef de projet Expérience P2E
Vous vous dites peut-être à la lecture de ce blog que le design énergétique s'intéresse principalement aux sujets pratiques et concrets. Ce n'est pas faux. Néanmoins, le paysage énergétique mondial et national est largement structuré par des institutions et des organisations que le grand public, et parfois les professionnels, connaît peu. Leur influence sur les "thèmes" énergétiques n'en est pas moins importante.
C'est pourquoi j'ai souhaité vous présenter Benoit Montels. Venu du terrain, il travaille dans ces univers, souvent parisiens, où évoluent les grandes organisations et où se dessine le versant institutionnel de la Transition Énergétique. J'ai trouvé la rencontre édifiante et instructive. Je vous laisse découvrir cet échange, dont le contenu ne laisse pas supposer que nous sommes assis dans le sable d'une plage méridionale...
Expérience P2E : aux origines
Pascal Lenormand : Bonjour Benoît, peux-tu nous dire en quelques mots qui tu es et à quoi tu occupes tes journées ?
Benoit Montels : J’ai commencé ma carrière comme ingénieur en bureau d’études techniques, et je faisais des audits énergétiques, de la maitrise d’œuvre et du suivi d’exploitation. Actuellement, je suis notamment chef de projet de l’association Expérience P2E (Passeport efficacité énergétique).
Pascal Lenormand : Une association qui regroupe quel type de structures ?
Benoit Montels : Au départ, l’initiative revient à The Shift Project. Cette association, notamment connue pour ses travaux sur la décarbonation de l’économie, élabore pour chaque secteur de l’économie des propositions visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Lorsqu’ils ont abordé le secteur du bâtiment, en 2012, l’une de leur proposition pour « massifier » la rénovation énergétique des bâtiments, consistait notamment à renforcer le DPE (Diagnostic de Performance Énergétique). C’est ainsi qu’est née l’idée d’un Passeport Efficacité Energétique (P2E).
Pascal Lenormand : Concrètement, sur quels principes repose de passeport ?
Benoit Montels : Le principe fondamental, c’est d’identifier une trajectoire d’amélioration progressive du bâtiment. Sur une telle trajectoire, le bâtiment va s’améliorer au cours de sa vie, en particulier en ce qui concerne la performance énergétique.
Pascal Lenormand : Si je comprends bien, ce P2E est une sorte de livret adaptable à tout bâtiment, et dans lequel je vais noter la réalisation progressive des améliorations et des rénovations ?
Benoit Montels : Exactement ! Cela repose sur l’idée qu’un « expert » peut, à la suite d’une visite préalable à un projet de rénovation, détecter les postes sur lesquels il y a des travaux à envisager. L’outil P2E permet, sur la base de ces informations, de déterminer des « garde-fous », qui garantissent que pour tous les travaux réalisés, le bâtiment reste compatible avec un objectif BBC (Bâtiment Basse Consommation), et la SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone). Je dois préciser qu’aujourd’hui, au stade de la phase 2 de l’expérimentation, on ne sait pas dire qui seront ces « experts ». Ce sera, pourquoi pas, un architecte, un bureau d’études ou encore un conseiller-énergie. Les prochaines phases de l’expérimentation nous permettront d’y voir plus clair.
Pascal Lenormand : Là où le DPE se focalise sur l’état présent du bâtiment, cette « version améliorée » entend se concentrer sur la route à suivre à partir de l’existant, c’est bien cela ?
Benoit Montels : C’est exactement ça. C’est encore ce qui manque aujourd’hui au DPE, qui ne propose que des étiquettes énergie-climat, mais ne propose pas vraiment de projets de travaux.
Expérience P2E : la création
Pascal Lenormand : D’accord. Nous sommes donc en 2013, le Shift Project présente cette idée. Mais comment passe-t-on d’une idée à une expérimentation ?
Benoit Montels : Le groupe de travail du Shift Project a d’abord essayé de développer un outil et de passer des partenariat avec des territoires. La dynamique était bonne, ils étaient parvenus à réunir certains acteurs importants de la filière. Mais au moment de passer à l’expérimentation à proprement parler, ils ont considéré qu’ils n’étaient pas structurés pour mener ce genre d’aventure. Il fallait une créer une structure spécifique pour porter ce projet. Le jeune et brillant chef de projet de l'Expérience. (Photo : Franck Tourneret) C’est comme ça qu’est née l’association Expérience P2E, au mois de mai 2016.
Pascal Lenormand : Qui retrouve-t-on autour du berceau de cette association ?
Benoit Montels : Cinq membres fondateurs. Le Shift Project, bien sûr, qui est à l’origine du projet. Trois industriels, Saint Gobain Habitat, Schneider Electric France et EDF. Et enfin une association professionnelle, le Cercle Promodul, qui fédère des acteurs privés du secteur de l’efficacité énergétique des bâtiments. Le tout présidé par Frank Hovorka, un ancien de la Caisse des dépôts et expert reconnu sur les sujets bâtiment – énergie – numérique.
Pascal Lenormand : Mais quelle peut bien être la motivation de tels acteurs pour mettre en œuvre l’idée du Shift Project ? J’ai du mal à croire à du pur altruisme au service de la Transition Energétique…
Benoit Montels : Le périmètre de l’expérimentation, pour l’instant, est celui de la maison individuelle. Aujourd’hui, l’offre d’accompagnement pour répondre aux demandes des propriétaires de maisons individuelles est très limitée. Ce marché de la rénovation est potentiellement très important, raison pour laquelle les membres fondateurs souhaiteraient « massifier » la rénovation.
Expérience P2E : pourquoi faire ?
Pascal Lenormand : Nous voici en 2016, l’association P2E est créée, et te voilà recruté pour mettre en place cet objet, ce « passeport ». Quelle est alors ta feuille de route ?
Benoit Montels : Elle est assez simple. Nous avons deux ans pour mettre en place l’expérimentation, et tester autant que possible des passeports de propriétaires recrutés grâce à des partenariats avec des territoires. C’est une dimension importante du projet. Nous avons parlé des cinq membres fondateurs. Mais nous avons également un collège des territoires, qui regroupe la région grand Est et l’ALEC du territoire Angers Loire Métropole. Un autre collège, celui des partenaires, rassemble Effinergie, Qualitel et Promotelec. Le but du jeu, la mission qui est la mienne sur ces deux années, c’est d’aller tester la démarche de passeport auprès des propriétaire en sollicitant des experts (des architectes, des bureaux d’études, etc.). Tout cela se fait en concertation avec les membres fondateurs, les partenaires et les territoires.
Pascal Lenormand : Cela commence donc par trouver des gens qui veulent rénover leur maison. Puis, s’ils sont partants, vous faites un audit, vous planifiez et allez jusqu’au travaux. C'est cela ?
Benoit Montels : C’était l’idée de départ, pour poser le cadre. Sauf qu’on a très vite su qu’en deux ans, et compte tenu du contexte dans lequel le projet s’est développé, il n’y aurait pas de rénovation effective après le passage d’un expert. Mais ce n’était pas le réel objectif de cette première phase de l’expérimentation. L’objectif est bien plutôt d’analyser les retours d’expérience, à la fois des propriétaires mais aussi des experts qu’on aura sollicités. À partir de là, il devient possible de faire des propositions, auprès par exemple d’acteurs institutionnels comme l’ADEME ou les services de l’État. Nous pourrons alors tenir un discours comme : « Nous avons testé une démarche sur un échantillon selon nous suffisamment représentatif. Nous estimons qu’un passeport pourrait être déployé, dans des conditions que l’on peut vous décrire ». C’est cela, le résultat à obtenir à l’issue des deux ans d’expérimentation. (L'association organise un point d'étape de ces premières phases, le 08 Février prochain à Paris. Renseignements en suivant ce lien)
Pascal Lenormand : Concrètement, de fournir une démarche plus ou moins clef en main aux institutionnels. Quelque chose pour encadrer la rénovation des maisons individuelles, avec un processus validé.
Benoit Montels : C’est ça. On sait aujourd’hui que la performance énergétique n’est pas, à elle seule, un déclencheur de travaux. Donc, si nous voulons continuer à envisager une massification, nous pensons qu’il faut embarquer la performance énergétique dans toutes les occasions de travaux qui se présentent.
Expérience P2E : embarquer la performance énergétique
Pascal Lenormand : Mais si on parle de toutes les occasions qui se présentent… Cela peut inclure, par exemple, quelqu’un qui avait juste prévu de refaire sa salle de bain ? Est-ce que cela signifie que le passeport dirait : « puisque vous refaites votre salle de bain, voilà les points de vigilance à avoir pour une rénovation cohérente, ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Et voilà aussi les améliorations ultérieures à envisager » ?
Benoit Montels : Oui, car un budget de travaux, c’est toujours limité, et qu’il y a des effets induits dans tout acte de rénovation. Si tu prévois de rénover ta cuisine par exemple, il y a sûrement un sujet sur la ventilation. Mais si l’installation électrique est défaillante ou hors normes, il va bien falloir s’en occuper au préalable. D’une certaine façon, le passeport apporte une visibilité sur les coûts potentiellement induits. On « embarque » certes la performance énergétique, mais en plus, c’est un sacré aide-mémoire pour éviter les incohérences !
Pascal Lenormand : Aujourd’hui, la rénovation énergétique est encore encadrée par la RT2005, qui repose sur une obligation de moyens. La philosophie est : tant que vous ne faites pas de travaux, on ne vous demande rien. Mais si vous touchez à un élément énergétique, alors il y a une performance minimum à respecter. Est-ce que la démarche du passeport n’est pas très similaire ?
Benoit Montels : En partie seulement. C’est effectivement une obligation de moyen, sauf que le passeport s’appuie sur ce qu’on appelle des combinatoires de performances énergétiques, qui garantissent la performance finale. Elles permettent de définir un ensemble de garde-fous cohérents entre eux, et pour l’ensemble du parc. Tout le processus est compatible avec les objectifs fixés par l’État.
Pascal Lenormand : Tu peux peut-être nous rappeler ces objectifs ?
Benoit Montels : Et bien… en ce qui concerne le passeport, il y a deux niveaux. Le premier concerne la performance énergétique et les émissions de GES. Ainsi, les combinatoires garantissent une étiquette énergie A ou B sur les consommations de chauffage en moyenne sur l’ensemble du parc, et permettent d’atteindre les objectifs par la SNBC à l’horizon 2050. Mais la loi TECV (Transition Energétique pour la Croissance Verte) comporte d’autres articles. En particulier, l’article 11 mentionne un « carnet numérique de suivi et d’entretien du logement ». Cet outil est obligatoire pour tous les bâtiments depuis le 1er janvier 2017 et il sera obligatoire pour tous les bâtiments qui feront l’objet d’une mutation à partir du 1er janvier 2025.
Pascal Lenormand : Mais de quoi s’agit-il ?
Expérience P2E : de l’énergie… à l’agrégation de données
Benoit Montels : En gros, c’est l’agrégateur de toutes les données du bâtiment. Pour donner une image, le Passeport Efficacité Énergétique, serait la brique « amélioration progressive de la performance énergétique » de ce grand contenant qu’est le carnet numérique.
Pascal Lenormand : Mais où se trouve-t-il, ce carnet ? J’imagine qu’il y a un lieu virtuel, un outil informatique dans lequel on imagine stocker toutes les données relevant d’un bâtiment ? D’où sortent-elles ces données ? Et quelles données ? Uniquement les données relatives à la construction, ou tout ce qui arrive au bâtiment au cours de sa vie ? Je suis désolé, cela fait beaucoup de questions… mais le sujet me semble abyssal !
Benoit Montels : L’idée sous-jacente est de proposer des solutions numériques sur le nuage. Dans un autre domaine, Digiposte est un bon exemple. C’est une sorte de coffre fort numérique pour stocker toutes les données de la vie. Là, ce serait la même chose pour le logement. On utilise parfois le terme de home data management. En fait, tu stockes toutes les données depuis la construction jusqu’à la destruction du logement. Toutes, pas seulement sur le volet énergie.
Pascal Lenormand : C’est un enjeu énorme ! J’imagine que de très gros acteurs comme EDF ou Google regardent cela de très près. Car après tout, on parle de l’ensemble du collectage de données, y compris comportementales. C’est ouvert à tout le monde ? Et ce n’est pas plus bordé que cela ?
Benoit Montels : Oui, tu as raison de relever que le modèle économique est celui des géants du web, dont le sujet fondamental est « que faire de la donnée ? ». Aujourd’hui, ce carnet numérique est dans la loi, mais il n’y a pas de décret d’application. On ne sait donc pas quelle forme ce concept prendra, qui va le gérer ni où il va se trouver. En réalité, le PTNB (Plan Transition Numérique du Bâtiment) mène actuellement une expérimentation sur le sujet. L’enjeu pour Expérience P2E est de créer une passerelle entre notre démarche de passeport et les dynamiques de carnets numériques testées ailleurs. Je parle du carnet numérique car au fond, où se trouverait le Passeport s’il devait se déployer ? Très probablement porté par le carnet numérique, qui en serait un très bon véhicule. Nous pourrions alors dire aux institutions que, puisque le carnet numérique de suivi et d’entretien du logement est obligatoire, pourquoi ne pas rendre le Passeport également obligatoire ? Et cela laisse jusqu’à 2025 pour définir le cahier des charges définitif du Passeport. La suite du projet en découle naturellement : nous cherchons à passer des partenariats avec un maximum de territoires, et si possible des Régions. Alors, nous aurons jusqu’à 2024 pour tester le Passeport non seulement sur des maisons individuelles, mais aussi sur tous types de bâtiments. Cela nous permettrait d’élaborer un outil en concertation avec les territoires, qui fasse vraiment consensus.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE
Et oui, ce n'est qu'un début... Benoit a encore beaucoup à nous raconter ! Dans la prochaine partie, nous parlerons de stratégies industrielles, de financement, et de l'intérêt réel du métier de "diagnostiqueur"... entre autres choses.
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