RE2020 : l'exigence a un prix

  • Vivre du Design Énergétique
  • 12 Décembre 2021
  • 3 commentaires

Ce n’est pas nouveau. À chaque nouvelle réglementation énergétique, les questionnements et études abondent en mode : la RTXXXX va-t-elle faire grimper le prix des bâtiments et/ou des logements ?

 

Ce même phénomène se reproduit évidemment avec la RE2020, au point que même le Sénat a fait réaliser par le cabinet Delloitte une étude sur le sujet, dont les conclusions sont reprises dans un rapport d’information.

Une petite bombe, qui ne manque pas d’égratigner au passage le « manque de concertation et d’information » du processus…

source: http://www.rt-batiment.fr/IMG/pdf/guide_re2020_dhup-cerema.pdf

Communication officielle autour de la RE2020... Que de congratulation sur cette merveilleuse "concertation"... Un copié-collé des congratulation post-RT2012, et post RT2005... (source: dossier de presse "éco-construire pour le confort de tous"-

Derrière la technique arrivent toujours les questionnements économiques, et nous vivons encore dans un monde où chaque rapport d’audit tâche de justifier telle ou telle intervention par son « temps de retour ». Une méthode dont on sait depuis des années qu’elle n’a aucun sens, mais qui a le mérite d’illustrer le mode de pensée à l’oeuvre :

  1. je fais des travaux, et cela me coûte des sous
  2. J’en attends une économie d’énergie, donc des charges moins élevées
  3. Le rapport entre coût et bénéfice est un argument pour lancer les-dits travaux.

C’est tout à fait comme en design énergétique : ça n’a aucun sens de questionner les consommations énergétiques si on n’a pas compris le service rendu par ces consommations. Et ce qui compte, au fond, pour mener une réflexions saine, c’est d’identifier à la fois ce qui coûte (l’argent, le temps, l’énergie, etc.) et ce qui est utile (du bien-être, du déplacement, de l’argent en plus, etc.).

Et c’est là, qu’effectivement, la RE2020 introduit d’une certaine manière le loup dans la bergerie. Voyons voir…

Comment évaluer un surcoût ?

Concernant un changement de réglementation, deux volets peuvent être considérés pour évaluer un « surcoût » :

  • ce que ça coûte, toutes choses égales par ailleurs, de pousser la performance ou de substituer des solutions.
  • ce que ça coûte, en études, de dérouler le processus rendu obligatoire par l’évolution du processus réglementaire.

 

De fait, le deuxième volet est assez rarement mentionné dans les approches générales. C’est pourtant loin d’être anecdotique, en particulier quand votre activité est de vendre ces études. Et alors qu’il s’agit, dans la RE2020, d’introduire une étude d’ACV, gourmande en temps, c’est un peu curieux que ce ne soit pas évoqué plus souvent.

Le premier volet, lui, est bien plus souvent mentionné. Il pose quand même plusieurs lourdes questions méthodologiques.

Peut-on « optimiser » un indicateur ?

La première, c’est qu’il procède en général indicateur par indicateur. On prend par exemple un bâtiment « limite RT2012 » sur le Bbio, et on regarde de quelle manière « pousser l’enveloppe » pour obtenir un Bbio « limite RE2020 ».

Et on peut, au moins sur le principe, procéder de la même manière sur les autres indicateurs.

C’est déjà acrobatique sur un simple Bbio, qui comporte 3 composantes bien distinctes (l’éclairage, le froid et le chaud).

 

Ça l’est encore plus si vous voulez le faire sur un Cep, avec ses 6 composantes (chaud, froid, éclairage, auxiliaires, ECS et mobilité interne), le dernier point n’existant pas en RT2012…

Ajoutons le fait que, évidemment, nombre de paramètres influent sur plusieurs coefficients.

Bref, sur le fond, c’est un exercice bien particulier, et difficilement généralisable à une conception, car il ne révèle rien sur ce que fera un concepteur qui cherche une « optimisation »…

« Optimisation »… le mot le plus dangereux de notre métier.

Car il peut signifier bien, bien des choses différentes…

Selon les contextes, il peut signifier « trouver la meilleure performance à moindre coût » ou « enlever tout ce qu’on peut en restant réglementaire ». Des démarches juste… complètement opposées, car visant des objectifs opposés.

Ça existe, un bâtiment « juste réglementaire » ?

Un autre biais majeur est de baser le travail sur la démarche suivante : tant qu’il y avait la RT2012, les bâtiments construits étaient de niveau RT2012. Et quand on introduit les nouveaux seuils de la RE2020, les bâtiments seront construits au niveau RE2020.

Ce qui suppose à peu près deux choses :

  • les concepteurs conçoivent en visant le niveau réglementaire. C’est très probablement le cas de tous ceux qui souhaitent construire « le plus mal possible », c’est à dire à ras les fesses de ce qui est autorisé. Mais ce n’est évidemment pas le cas de ceux qui visent un autre objectif.
  • il n’existe pas de bâtiment dont l’objectif est différent que le strict respect réglementaire, et encore moins de bâtiments qui, bien que soumis à RT2012, seraient déjà compatibles avec les objectifs RE2020.

Ce sont des hypothèses lourdes. D’autant plus lourdes que le monde réel illustre qu’il existe bien des bâtiments qui vont bien au-delà de la stricte exigence réglementaire. Pire : ce sont eux qui sont pris en exemple pour élaborer les réglementations.

Prenons l’exemple du LowCal, bâtiment E4C2 du bureau d’études Enertech. Il cumule les éléments qui contredisent tout ce que ces études sur le « surcoût » montrent :

  • il n’a jamais eu pour objectif premier de « respecter la réglementation »
  • son processus de conception ne s’est jamais appuyé sur l’outil réglementaire… c’est même le contraire : l’élaboration de l’outil réglementaire s’est appuyé sur la conception du LowCal
  • il présente un coût de construction bien inférieur à de nombreux bâtiments « juste réglementaires ».
  • … et il est un « actif énergétique », puisqu’il produit 10 fois plus d’énergie qu’il n’en consomme.

Le monde se résume-t-il à des bâtiments « réglementaire ». Bien sûr que non, et même le législateur l’affirme : la réglementation n’est PAS un outil de conception.

Et on se retrouve avec la contradiction suivante :

  • La réglementation n’est pas un outil de conception.
  • Le surcoût est calculé en observant les modifications de conception alignées sur les niveaux réglementaires

Tout cela n’a-t-il donc point de bon sens ?

Oui, oui, je vous entends bien marmonner : « oui, bon OK, la méthode est discutable, mais tu nous embrouilles… concrètement, on sait bien que tout va être plus cher ».

Alors oui, il y a bien une vraie question « argent » dans tout ce mic-mac. J’y viens…

Mais à ce stade, ce qu’on peut déjà se dire, c’est qu’il n’y a une question de « surcoût lié à la RE2020 » que si votre objectif, défini selon les critères RE2020, est inférieur à ses exigences.

Ainsi, le cas typique de maître d’ouvrage pour qui la RE2020 est une chose qui entraîne un « surcoût », c’est celui que la RE2020 force à aller au-delà de sa première intention en termes de performance.

Bref : celui qui préfèrerais faire « moins bien ».

Re-bref : celui dont le premier objectif n’est pas de faire un « bon bâtiment », du point de vue énergétique et environnemental. Parce que pour ceux qui pensent d’abord à faire un « bon bâtiment » (peu consommateur, sans surchauffe et « écologique »), et bien… ça passe « naturellement ».

Les vrais surcoûts de la RE2020

Autant la notion même de « surcoûts » de la construction liés à la RE2020 est très discutable, autant certains frais liés au processus même, imposé par la réglementation, sont effectivement en hausse.

Reprenons : jusqu’à la RT2005, vous pouviez tout à fait justifier de la conformité par un simple formulaire rempli à la main. Un peu de matière grise, un papier, et hop, c’était parti.

Avec la RT2012, on a introduit l’exigence d’un calcul réalisé sur un logiciel agréé + la fourniture d’une attestation au PC + l’intervention d’un professionnel agréé à la réception + un test d’étanchéité à l’air…

La note commençait déjà à être un peu salée, et a finalement scindé le monde en deux :

  • le monde des professionnels visant à vendre tout cela pour « pas cher » : c’était la naissance des « cracheurs d’attestation », des diagnostiques pressés, etc.
  • le monde de professionnels trouvant que la RT2012 était un bon moyen de pousser du « conseil », de qualité variable, et en tous cas, entièrement libre.

Le prix ou la qualité ?

On peut résumer les argumentaires de ces deux mondes de manière un peu caricaturale.

Dans le premier cas, la logique est fondée sur une perception du genre « bon, toute cette paperasse, c’est pénible et coûteux, faisons au plus rapide et au moins cher. Achetez chez nous. ». Evidemment, commercialement, on continue à parler de qualité, de conseil et d’accompagnement… de la même manière qu’on parle de « produits de qualité » dans les magasins Low-Cost. Ce n’est en général pas quand on a besoin de le préciser que c’est le plus évident, n’est-ce pas…

Dans le deuxième cas, la logique est un peu différente… C’est un peu : « Bon, ok, vous êtes obligés de faire ces papiers pénibles. Mais profitons-en pour améliorer votre projet, vous vous y retrouverez en faisant des économies et un bâtiment de meilleure qualité. Achetez chez nous ».

Hormis la démarche assez foireuse du point de vue marketing (tâcher de vendre de la prestation de qualité en mettant en avant un produit obligatoire et bas de gamme, ça n’a jamais vraiment fonctionné…), il y a un point intéressant qui se révèle : l’apparition d’une notion de « meilleur produit à la fin ».

Dit autrement : vous payez certes plus cher, mais pour quelque chose de mieux.

Ce « mieux », classiquement, se formule en « factures d’énergies moins élevées », « bâtiment qui fonctionne mieux », « coûts de construction réduits », etc.

Tout cela semble entendable, voire intelligent : je paye plus, mais c’est un « investissement » qui me rapportera de la satisfaction par rapport à mes objectifs. En tous cas, j’espère.

Mais la RE2020 ouvre une brèche béante dans cette logique.

A quoi ça me sert, l’environnement ?

Les deux plus importantes innovations de la RE2020 portent sur le périmètre de ce qui est contrôlé.

La première, c’est (enfin !) une approche plus robuste de la surchauffe. On peut ergoter sur la valeur de l’indicateur DH, il n’empêche que le fait d’intégrer systématiquement les besoins de froid dans le Bbio met clairement les pieds dans le plat.

Sur ce point, l’éventuel surcroît de travail (donc… d’euros pour payer de l’intelligence) peut tout à fait se transformer en « meilleure qualité » pour le maître d’ouvrage. Le service rendu, au final, par le bâtiment, est de meilleure qualité : soit j’aurais moins chaud, soit je paierai moins de climatisation.

Le deuxième, c’est l’introduction d’un sujet qui n’est pas strictement énergétique : l’impact climatique. On pourrait dire « l’impact environnemental » pour faire large. Et là, problème…

Ce n’est pas nouveau de faire des ACV… On sait donc parfaitement que c’est plutôt long, plutôt minutieux, et donc plutôt coûteux.

Donc imposer de faire un truc du genre ACV dans une démarche réglementaire, on sait forcément qu’il va falloir que tout le monde sorte un billet. Pas toujours un petit billet… Et quand on cherche le bénéfice direct pour le maître d’ouvrage de cette démarche vertueuse (obligatoire, certes, mais vertueuse), on tombe sur quoi ? Rien.

Rien de direct.

Bien sûr il y a des arguments indirects : on va utiliser des matériaux de meilleure qualité (peut-être…), des machins moins polluants (OK… en admettant que pollution = carbone, un raccourci un peu hâtif)

Mais en direct ? Rien, à part le fait d’avoir été autorisé à construire.

Le bénéfice, il n’est pas pour le maître d’ouvrage : il est pour la société. Et c’est là que la brèche s’ouvre.

Parce que jusque là, on pouvait toujours faire payer un calcul réglementaire à un maître d’ouvrage en lui disant « oui, OK, ça fait mal de lâcher 3000€ juste parce que c’est obligé, mais bon, tout ça contribue à ton bonheur futur ».

Avec la partie « ACV », ça devient nettement plus compliqué… Quand bien même on trouverait une ACV à quelques centaines d’euros, j’aimerais vraiment voir « l’argumentaire produit » pour qu’un maître d’ouvrage paye pour ça avec le sourire.

Bizarrement, fort peu de gens achetaient des ACV jusqu’à maintenant dans le monde du bâtiment. À croire qu’ils n’en voyaient pas l’intérêt…

Paye, et sois content

Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : c’est important et utile, pour nous tous, qu’on se remue enfin sur les questions d’impact climatique. C’est pas comme si on n’avait pas 30 ans de retard…

Mais la question sous-jacente, c’est celle-ci : pourquoi faire payer de manière obligatoire aux maîtres d’ouvrage un travail qui n’a pour eux aucun bénéfice, alors qu’il en a pour la collectivité ?

Qui a envie de payer beaucoup d’euros pour un truc dont il ne retire rien ?

On peut ajouter un phénomène parasite connu, et sans solution à ce jour : celui de la complétude.  Une étude d’ACV est d’autant plus pertinente qu’elle est complète. Comme il s’agit de comptabilité, et non d’intelligence, cela signifie qu’un travail de qualité est plus minutieux, donc plus chronophage.

Or, plus l’étude est précise, plus elle va compter d’impacts, donc plus elle a de chance d’être défavorable à un résultat « c’est bon, ça passe ». Dis autrement : il est plus facile de vérifier un objectif de type « ça passe » si on est négligent.

Dis encore autrement : l’ACV est naturellement un poste de coût sans bénéfice direct pour le maître d’ouvrage, et en plus, meilleure elle est, plus elle est chère, et plus tu as de chances de te faire planter… Génial, c’est vraiment un super produit ! Voilà un fonctionnement à peu près organisé pour encourager la truande.

Mais je vois le mal partout : il n’y a bien sûr que des bureaux d’études consciencieux et des maîtres d’ouvrage volontaires, n’est-ce pas ? À se demander même si on a vraiment besoin d’une réglementation…

...et pourquoi pas un service public ?

On pourrait aussi imaginer une « aide d’Etat » pour le volet « Icconstruction », afin de conserver pour la sphère privée ce qui est de l’arbitrage coût/bénéfice, et d’encadrer le socle de base d’obligation.

En tous cas, une chose est sûre : s’il y a un domaine où, pour sûr, la RE2020 va réellement être perçue sur le terrain comme un pur coût, sans bénéfice, c’est bien celui de l’étude environnementale.

Évidemment, les seuls pour lesquels c’est un pur bénéfice, ce sont les vendeurs d’ACV : le jour où ton produit que personne ne voulait devient obligatoire, c’est le pactole.

Est-ce à dire qu’il fallait nécessairement que ce soit le client final qui paye ? Je suis loin d’en être convaincu.

S’agissant d’un enjeu majeur de société, d’un sujet sur lequel on aurait besoin d’enthousiasme et d’engagement, c’est bien dommage qu’on n’ait pas trouvé d’autre montage que celui-ci. Pour les maîtres d’ouvrage, il a toutes les allures d’une approche que tout le monde décrie : l’écologie punitive. Que des coûts, pas de bénéfice. On a déjà fait mieux pour enthousiasmer une communauté, non ?