Ecojoko : le test ultime

  • Pratiquer le Design Énergétique
  • 17 Septembre 2020
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Dans un article précédent, nous avions parlé de l’intérêt de ce que j’appelle des « mesures inexactes ». Souvenez-vous... 

Il y a ces mesures précises que l’on réalise souvent dans de vastes démarches d’évaluation. Le bureau d’étude Enertech, grand spécialiste de ces campagnes en France, les a popularisées et a montré leur puissance pour détecter les consommations inutiles. 

On utilise ces mesures précises et souvent réalisées sur des périodes longues pour mener des analyses complexes. 

Mais il y a cette autre sorte de mesure, que j’appelle « inexacte » ou « à la volée ». Elles s’effectuent avec des outils « grand public ». L’un de leur grand intérêt, à mon sens, est de renvoyer une information immédiate, pour nous permettre de recoller la réalité perçue avec un ordre de grandeur.

C’est le cas du compteur de vitesse sur votre voiture. Vous vous fichez bien de connaître votre vitesse à 2 km/h près… 

Il y a quelques temps de cela, je suis tombé sur un appareil qui m’a intrigué : le compteur Ecojoko. La publicité revendiquait des économies de 25% sur les factures électriques par l’analyse et la compréhension des consommations domestiques. 

Diable ! Ce n’est pas rien !

Je ne me considère pas vraiment dans la cible du produit : l’appartement est peu équipé, je connais les puissances de chaque appareil, et suis un maniaque de l’extinction. Mais bon, je suis curieux… 

J’ai donc contacté la (très) sympathique Ecojoko qui a accepté de me prêter l’un de ses appareils pour que je joue avec. Cet article est le résultat de cette exploration.

(Je précise que cet article ne représente que mon avis personnel, et je ne suis pas sponsorisé par EcoJoko ou rémunéré sur les ventes)

 

Comment ça marche ?

Pour les détails techniques, visitez donc le site du fabricant, je me contenterait de vous donner ma compréhension…

Je considère qu’il y a quatre éléments à ce système :

  • un capteur qui se fixe sur le disjoncteur du logement, et qui détecte les variations d’appel de puissance
  • un boitier / cadran, relié à internet, qui a la double fonction de fournir une information en temps réel avec une aiguille (comme un compteur de vitesse) et de dialoguer avec le serveur 
  • une intelligence artificielle (IA) qui collecte et traite la donnée
  • une application, disponible sur le téléphone, pour présenter la donnée

La mise en place est facile et très bien guidée. Dès qu’elle est faite, le système collecte de la donnée électrique en permanence vers l’IA. Concrètement, ça ressemble à ça :

Comme très bien expliqué ici, cette IA analyse les déclenchements, c’est à dire les démarrages d’appareil. Au bout d’un certain temps, elle « reconnait » les équipements. 

On peut donc obtenir à la fois :

  • des courbes de consommation 24/24
  • une analyse de ces courbes, vous permettant d’identifier les appareils concernés (si vous n’êtes pas aussi toqués que moi…)
  • un détail des consommations, en particulier pour séparer la veille du reste

L’application propose également un ensemble de composant de « gamification » (des challenges, un trophée, des badges, etc.) pour vous aider à améliorer la situation. 

 

Les fonctions super chouettes

La joie de la mesure en temps réel

Le premier intérêt de l’appareil, c’est cette fonction de « compteur de vitesse ». Placé à un endroit bien visible de l’appartement, il permet d’avoir ce lien de cause à effet qui manque tant. On comprend vite que la plaque de cuisson représente environ 1,5 kW, ce qui se passe sur un cycle de lave-linge ou avec tel ou tel éclairage. 

Je crois qu’au fond, c’est la fonction que j’apprécie le plus, car elle me permet de connaitre, progressivement, la puissance de chaque appareil. 

Avant de nourrir une intelligence artificielle, cette donnée nourrit mon intelligence naturelle.

Le plaisir des courbes

La mesure permanente des appels de puissance permet, évidemment, de tracer des courbes. Là encore, ces infos permettent de faire (comme l’IA) le lien entre des « signatures » et la mise en route de tel ou tel appareil. 

Il est très facile de voir et d’envisager la gestion des pics de puissance, directement liés à l’abonnement électrique souscrit. Ma courbe restant toujours, sauf exception évidente, en dessous de 3kW, pourquoi paierais-je un abonnement de 6 ou 9 kVA ?

J’ai adoré reconnaître mon réfrigérateur et ses cycles permanents de mise en route. Idem pour l’identification des veilles lorsque j’oublie de débrancher quelque chose. 

(voilà, avec cette courbe, vous savez tout de mon réfrigérateur, de mes lessives nocturnes et de ma pizza du 9 septembre)

 

L’obsession de la veille

Évidemment, l’une des analyses intéressantes est celle du niveau de consommation en veille. Lorsque je dors, à part pour quelques appareils dont je décale le fonctionnement, je n’ai normalement besoin d’aucun service énergétique.

C’est très satisfaisant de constater que, quand je n’oublie rien, le talon de la veille se trouve, chez moi, aux alentours de 8W. Cela correspond en gros aux quelques systèmes de sécurité (lave-linge, lave-vaisselle) et au boitier EcoJoko lui-même. 

Encore faut-il arrêter la box internet et toutes les autres veilles pour descendre à ces niveaux… Chez Ecojoko, on annonce que les « veilles cachées » représentent en général 80W. 

 

Les fonctions « pourquoi pas »

Du rôle de l’IA

L’une des caractéristiques majeures d’Ecojoko, c’est le traitement des signatures par une IA qui identifie pour vous quel appareil est responsable de quel appel de puissance. C’est très futé, car cette IA remplace, de fait, l’analyse d’un expert. 

Dans mon cas particulier - celui d’un geek des consommations - c’est moi qui fait ce travail. Mais c’est le fruit d’une expérience que tout le monde n’a pas. 

Alors certes, cette attribution d’une consommation à un appareil aide. J’aime beaucoup le graphique de répartition des consommations sur les différents usages. 

Ce qui m’est moins évident, c’est le lien avec l’étape suivante : « que faire ? ». Comme pour toute mesure, en réalité.

Le diagnostic, c’est bien. C’est souvent nécessaire. Mais le diagnostic n’est utile que pour tirer des conséquences et des améliorations. Ces pistes de réflexions sont listées ailleurs, sous la forme de « missions ». 

Les « missions »

Intéressantes car en grand nombre et bien détaillées, elles permettent de se renseigner sur les possibles « gestes d’économie », et de s’engager à les faire. 

Deux choses me frustrent un petit peu à ce niveau :

  • qu’il n’y ait pas de connexion entre ce que je m’engage à faire, et l’évaluation de l’efficacité du geste. Après tout, si je fais une mission « réfrigérateur », j’aimerais savoir s’il y a une différence avant/après, voire qu’on me félicite pour le résultat sur ce poste spécifique. 
  • qu’il y ait peu « d’addiction » sur ces missions. C’est certes un Graal difficile à mettre en place pour tout éditeur d’application. Mais sur cet enjeu majeur, je me suis trouvé peu « orienté » vers ces missions, peu incité à m’y intéresser et à m’y engager. 

 

Le classement et les trophées

L’application présente, en fonction de mon niveau de consommation, un classement et des trophées. 

Le classement compare mon niveau de consommation à celui d’autres membres de la communauté EcoJoko. Peut-être me suis-je retrouvé vexé d’être loin dans le classement, moi le « grand expert »…

Rapidement, j’ai trouvé des excuses : nous avons les bureaux d’Incub’ dans le logement, et quelques appareils atypiques non identifiés. Par exemple, la charge de la moto électrique (service de transport) ne devrait logiquement pas être comptée dans nos usages domestiques comme un lave-vaisselle. Mais tout cela relève de l’anecdote.

Toujours est-il que je trouve l’exercice très délicat, tant le lien entre un niveau de consommation et son interprétation peut se faire de multiples manières. L’application Eocojoko tend à relier fortement les consommations au comportement, ce qui est juste. Mais cette consommation cache aussi un niveau d’équipement, un niveau de performance des appareils, un niveau de service rendu, un taux d’occupation et d’utilisation…

Il est logique de penser « consommer moins, c’est mieux », à l’échelle d’un logement. Et la comparaison est effectivement possible pour se situer dans les « gros consommateurs » et les « faibles consommateurs ».

De là à en tirer un classement individuel comme dans une course, et que cela soit productif, je reste sur des doutes…

En ce sens, les « trophées » me semblent sur le principe plus intéressants. Selon mon niveau de consommation, on m’attribue un badge. Cela pourrait, à mon sens, être passionnant si ces trophées incluaient, au delà du simple « niveau de conso » une dimension « progression ». Il ne manque pas grand-chose, car cette information sur l’évolution de la consommation se trouve déjà dans le système.

C’est sur ce principe que fonctionne une application dont je vous ai déjà parlé (l’application Oura, pour suivre le sommeil). Cette capacité à parler des tendances sur plusieurs jours pour évaluer un score me semble une piste d’amélioration intéressante. 

 

Les questions

L’utilisation de ce système original suscite également quelques questions. Soyons honnêtes : je me pose les mêmes que tout le monde, et elles ne sont pas spécialement brillantes… Mais s’agissant d’un système qui traite de la donnée dans l’intention d’économiser de l’énergie, il est logique de se les poser.

Sur la plupart, le site d’EcoJoko propose des réponses bien argumentées. 

La récolte de données

On a beaucoup débattu sur la prétendue capacité du compteur Linky à collecter de la donnée de consommation fine, ce qu’il est bien incapable de faire. Le fait qu’on puisse comprendre comment les gens consomment de l’électricité semblait un lourd problème. 

Après tout, pourquoi pas ? Si je sais que M. Bonvin fait tourner sa lessive la nuit, je peux lui envoyer de la publicité ciblée sur les lave-linge silencieux. Et si Madame Michu cuisine visiblement sur plaques à induction, je peux lui proposer les produits spécifiques. 

Bon, Linky ne peut a priori rien de tout ça. Et quitte à critiquer, je peux ajouter qu'il faudrait aussi une sacré compétence en retargeting chez ERDF, qui deviendrait une sorte de Facebook de la donnée énergétique... Je n'y crois pas une seconde. 

La question concernant EcoJoko, c’est justement que j’organise moi-même la collecte et la transmission de ces données à un tiers. Bien entendu, le fabricant répond que les données sont anonymisées et uniquement utilisés pour l’analyse, ce que je veux bien croire. 

Dans le fond, je m'interroge beaucoup plus, comme dans d’autres domaines, sur notre relation à cette question de la donnée. Cela ne pose problème à personne d’envoyer chaque jour des dizaines de mails et SMS à contenu personnel ou confidentiel, transitant sur des serveurs inconnus chez des entreprises de telecom autrement plus puissantes qu’un EcoJoko.... Pourquoi alors s'angoisser pour de la vulgaire consommation électrique comme si elle représentait l'un de nos secrets les plus intimes ? D'autant qu'a priori, Ecojoko classerait les gadgets coquins en "autres appareillages"... Nos perversités énergétiques resterons secrètes.

Mais sachons-le tout de même : pour qu’Ecojoko fonctionne, il faut lui ouvrir la porte de notre mode de vie. 

La connexion internet et le coût de traitement

Le fait que le traitement se fasse à distance nécessite d’envoyer de la donnée et de la faire traiter sur des serveurs. On peut donc légitimement s’interroger sur la consommation et les impacts associés. 

La consommation du boitier lui-même (1,5W) est assez anecdotique…

L’argument principal d’Ecojoko à ce sujet est que le boitier n’envoie que de la donnée brute (des chiffres). Il ne s’agit ni d’image, ni de flux streaming, ni de vidéo.

Lors d’un de nos échanges par mail, l’équipe Ecojoko m’a illustré le phénomène de cette manière : « l’envoi de ce mail équivaut à environ 1 mois de traitement de données par nos serveurs ». Vu sous cet angle… 

Ecojoko, combien de temps ?

Bien que je ne sois pas réellement un public facile pour ce genre de produit, une question reste ouverte : combien de temps cet appareil est-il intéressant ? 

J’ai trouvé passionnante la première période de 1 à 2 mois. J’ai eu la sensation de découvrir de nombreux  phénomènes, ou de mieux les comprendre. Assez rapidement, j’ai mis en place les quelques corrections nécessaires. 

Mais ensuite ? Que se passe-t-il ?

Le principal problème me semble le suivant : maintenant que j’ai « joué » un temps, je peux considérer que j’ai compris et mis en place les actions nécessaires. Si j’avais acheté le boitier, c’est que je pensais qu’il y avait un problème à résoudre. Si j’ai agi, alors je peux me dire que j’ai résolu ce que je pouvais résoudre. Vais-je continuer à être attentif ? A priori, le système ne me sollicite pas pour une « session de contrôle » ultérieure… Comment maintenir la vigilance ? Nous sommes des drogués de l’énergie et de l’électricité, et sommes souvent bien faibles à tenir nos bonnes résolutions.

Une solution pourrait être liée au modèle économique : plutôt que d’acheter un boitier, je pourrais acheter un abonnement « suivi », que je pourrais interrompre une fois le travail effectué. Des conseillers (pourquoi pas des Espaces Info Energie ?) pourraient m’accompagner, et me recontacter au bout d’un certain temps. Un fonctionnement très proche des Familles à Énergie Positive. Où l’on voit qu’une fois de plus, la technique est une chose nécessaire, mais que la clé se trouve dans le modèle stratégique.

(L'actualité m'a rattrapé pendant la rédaction de cet article : Ecojoko vient de lancer une offre de location mensuelle !)

 

Au final ? 

Que reste-t-il de cette expérience après quelques mois ?

En tant que professionnel, la principale conclusion de cet essai est l’intérêt de l’aspect « compteur de vitesse ». Ce boitier sympathique et bien visible, immédiatement compréhensible, est devenu un élément essentiel de la maison. Il est placé en face de mon bureau, j’ai toujours l’oeil dessus. 

Sa capacité à soutenir le lien de cause à effet me semble remarquable. 

Le traitement de donnée et la structuration par grands postes me semble intéressante, mais c’est en réalité sur ce point que, je pense, cette jeune entreprise peut vraiment faire la différence : l’exploitation. 

Je ne parle pas ici de faire de jolies courbes : ils le font déjà, avec beaucoup plus de talent et de lisibilité que bien des professionnels. 

Je pense plutôt à la manière de capitaliser sur ces données pour les transformer en actions, pour ancrer des habitudes. Il y a certainement beaucoup à faire en termes de « déclencheurs » et de « récompenses variables », bref, en termes de mise en place d’une habitude chez l’usager. 

On n’en est pas loin. Et si EcoJoko parvenait à nous rendre addicts au débranchement d’appareil, ma foi, je n’en serais pas malheureux !