Le mythe du « 7% d’économie pour 1 degré de chauffage en moins » : enfin la vérité

  • 16 Décembre 2018
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C'est quasiment un "marronnier" lorsque l'hiver arrive et que les chauffages s'allument. À la télévision, dans les magazines et les journaux, et bien sûr, sur internet, vous pouvez voir passer ce conseil :  « si vous voulez réduire vos consommations de chauffage, il suffit de baisser vos consignes de 1°C et vous économiserez 7% sur votre consommation de chauffage ».

Je pense qu'avant ma naissance, qui commence à dater, il circulait déjà. Et bien ce chiffre, il pose plusieurs problèmes dont je voulais vous parler. Après tout, moi aussi j'ai le droit de suivre les saisons pour mes sujets. 

 

 

7% d'économies de chauffage : mais d'où sort ce chiffre ?

 

C'est une convention et un gage de sérieux lorsqu'on annonce un chiffre : on cite la source. Disons que c'est un préliminaire, permettant au lecteur de se référer à la source initiale. Cela aide, comme nous l'a réexpliqué Yves Marignac, à mieux distinguer l'opinion du fait. Et bien en ce qui concerne ce chiffre, impossible pour l'instant d'en identifier la source. Malgré son ancienneté et son apparente universalité (j'ai retrouvé des citations belges), aucune source (parfois, juste "l'ADEME") n'est fournie.

 

C'est d'autant plus surprenant qu'il est annoncé comme une généralité. On ne vous dit pas si cela varie selon votre logement, votre mode de vie, vos habitudes... Non, c'est juste "7% d'économie pour 1° en moins". On peut critiquer les scénarios conventionnels, ils ont au moins la délicatesse de changer selon les situations. Et on peut critiquer les calculs réglementaires, ils n'ont jamais prétendu à une valeur universelle. Mais pour le "7% d'économies", si : c'est pareil pour tout le monde, n'importe où. Voilà qui est curieux.

 

On ne peut donc pas critiquer la source. Mais on peut au moins confronter cette valeur à ce qu'on observe, chacun chez soi. C'est ce que j'ai fait, et il se trouve que "chez moi", cela implique beaucoup, beaucoup de bâtiments. (Si un lecteur charitable connait cette source, je lui serais infiniment reconnaissant de me la transmettre - et au moins, vous pouvez mentionner www.incub.net comme source affirmant que ce chiffre est faux ? )

 

7% d'économies de chauffage : un chiffre faux... et pas qu'un peu !

 

7% d'économie - STD

 

 

Le genre de graphique facile à faire - ici pour un bâtiment "classique" en RT2005 - 30% d'augmentation pour 2°C sur la consigne, soit 15% par degré (source Incub') Je vais le dire franchement. Cela fait presque 15 ans que j'étudie des bâtiments de toutes sortes. Pour les logements cela va de la yourte à la villa de luxe et passant par les bâtiments collectifs, sociaux ou "haut de gamme".
J'inclus dans la perspective les bâtiments tertiaires. Dans tous ces bâtiments, on observe une chose :  plus la "
performance" des bâtiments augmente, plus cette valeur est fausse. Et je n'ai jamais obtenu une économie de 7% pour un degré de réduction de la consigne. Je ne suis bien sûr pas seul à le dire, mon ami et maître Olivier Sidler le répète partout depuis des années.

 

Le calcul est très facile à faire en simulation thermique dynamique. Les valeurs typiques qu'on trouve de nos jours sont de 15, 25 voire 30% d'augmentation des besoins de chauffage pour un degré d'élévation de la consigne. Et les résultats sont très variables selon les types de logement, individuels ou collectifs.

 

Disons-le donc : sur la plupart des bâtiments, cette valeur est fausse. Mais pas qu'un peu ! On parle là d'une erreur souvent d'un facteur 2 à 4. Cela veut dire que dans la plupart des bâtiments, si vous augmentez votre consigne d’un degré vous augmentez votre besoin de chauffage (donc, en gros, votre consommation) 15 à 30%. Là où 7% semblent anodin, on réagit beaucoup plus à une économie potentielle de 15 à 30%. Lorsqu'on m'offre une réduction de 7% sur les chocolats,  je ne réagis pas beaucoup. Lorsqu'on me parle de 30%, je commence à négocier mon régime...

 

Ne pensez-vous pas qu'une campagne "25% d'économie pour 1 degré" aurait plus d'impact que notre vieille "7% d'économie pour 1 degré" ?

 

 

7% d'économie de chauffage : mais comment baisser les consignes ?

 

Il y a un autre problème de fond. C'est bien joli de dire aux gens "baissez la consigne". Mais le message est brouillé par ce qu'il ne dit pas, ou ce qu'il sous-entend. Je m'explique. On ne chauffe pas un local pour le plaisir de chauffer, mais pour obtenir un niveau de confort. Si je vous invite uniquement à baisser la consigne, je peux sous-entendre deux choses :

  • Soit que vous êtes distrait ou incompétent : vous n'aviez pas remarqué que vous pouviez régler le thermostat ?
  • Soit que vous êtes un irresponsable surconsommateur : le niveau de service que vous demandez n'est pas raisonnable.

 

C'est évidemment un peu plus subtil. Mais c'est un mécanisme similaire à ce qui se produit lorsqu'un parent dit à un enfant : "tu ne pourrais pas baisser ta musique ?". Avez-vous déjà vécu cela, enfant ? Vous souvenez-vous de ce sentiment d'incompréhension ? Et si vous avez effectivement baissé le son, l'avez-vous fait avec plaisir ? Pour ma part, jamais. Juste un sentiment d'incompréhension.

 

Car baisser une consigne de chauffage est un vrai choix lorsque j'obtiens un niveau de satisfaction similaire. Tout le monde (loin de là) n'est pas capable, immédiatement, de remplacer une sensation de fraicheur par la satisfaction de contribuer à la Transition. On peut le rappeler : il y a 6 paramètres au confort. La température de l'air n'en est qu'un. On peut donc ajuster les curseurs pour diminuer les températures ET maintenir le même niveau de confort. Une communication en simple "réduction de consigne" ne s'intéresse qu'à la moitié de la solution, et ne donne pas à chacun les moyens de gérer la situation au mieux.

 

7% d'économie de chauffage : si vous êtes maître d'ouvrage ou habitant

 

Si vous êtes dans la situation d'acheter, de faire construire ou de changer de logement, on vous fournit une étiquette énergie ou un résultat de calcul réglementaire. Tout cela n'apporte pas beaucoup d'information utile, comme je vous l'ai expliqué ailleurs.

Mais si vous le pouvez (en particulier si vous faites construire), demandez à ce qu'on vous fournisse cette valeur. Demandez à votre concepteur  architecte, bureau d’études, de la calculer pour votre logement, et de vous la fournir. Vous l’appelez et vous lui dites « bureau d'études, dis-moi, s'il te plait, quand j’augmente ma consigne de 1 degré, de combien est-ce que je vais augmenter ma consommation ? »

C'est une valeur très importante à connaître. La plupart des gens ont entendu dire, pour leur voiture, que "au delà de 120 km/h, elle consomme beaucoup !". C'est pareil pour votre logement, vous devez demander cette valeur. Interrogez vos concepteurs, les vendeurs, les bureaux d'études. Le fait qu'ils vous la fournissent est gage de sérieux.

 

7% d'économie de chauffage : si vous êtes un professionnel

 

Et si vous êtes architecte ou bureau d’études, vous devez étudier, connaître et fournir cette valeur. Bien sûr, ce n'est pas le calcul réglementaire qui vous la donnera, il faudra aller plus loin. Mais ne pas s'interroger dessus, c'est se comporter comme des constructeurs automobiles en ce qui concerne les émissions du diesel, c'est à dire ne pas chercher et fournir les informations qui permettent à chacun d'évaluer la réalité. Notre travail de concepteur, c'est de permettre à chacun d'évaluer autant que possible comment tout cela fonctionne en vrai. Pas en théorie.

Nous tous qui concevons des bâtiments, qui produisons des chiffres (c'est mon cas), nous devons évaluer et fournir cette valeur. Elle est essentielle et ce n'est pas la Réglementation Thermique RT2012 qui vous la donne. C'est un manque cruel, j'ai même fait une contribution récente auprès des institutions en ce sens.

 

7% d'économie de chauffage : si vous êtes journaliste ou acteur de la Transition

 

Résumons : il est raisonnable de considérer que cette valeur de  7% est fausse,  et l’est depuis assez longtemps d’ailleurs. Continuer de la diffuser est contre-productif, c'est de l'ordre de la Fake News. Vous êtes journaliste ? Arrêtez de la citer, et corrigez le chiffre. Cela sera d'autant plus incitatif et marquant pour vos lecteurs. Vous êtes de ces acteurs du changement qui souhaitez "sensibiliser" vos publics ou inciter à des changements de comportement ? Parlez plutôt de 15 ou 25%. Ce sera moins faux, plus efficace et plus incitatif.

 

7% d'économie de chauffage : à quoi sert un tel chiffre ?

 

Sachons qu'un chiffre unique ne peut pas avoir de valeur universelle. Autant il peut être frappant, autant il nous faut garder à l'esprit que ces valeurs sont variables. Les professionnels sérieux vous le diront, et pourront vous fournir le chiffre qui correspond à votre situation précise, si vous leur demandez. Et si votre interlocuteur refuse de vous la donner, demandez-vous pourquoi.

Au delà de la "véracité" d'un chiffre, toujours discutable, un point est essentiel à retenir : on le communique dans un but. Si ce "7%" a une importance, c'est parce qu'on l'utilise pour encourager à un changement d'habitude. Il est censé être incitatif, il cherche à "vendre du rêve", au service d'une plus grande sobriété énergétique. Au final, ce qui compte, c'est l'économie mesurée en kWh ou en €. C'est certain, 20% d'économie sur 1500 kWh (bâtiment performant), c'est beaucoup moins d'économie que 7% de 15 000 kWh (bâtiment peu performant). Si je dis : "dans un bâtiment très performant, on économise jusqu'à 12€ par an en baissant sa consigne de 1°C", je n'encourage qu'une chose : un bel effet rebond, induit par la notion maintenant exprimée que les économies n'ont aucun intérêt dans un bâtiment performant.

Dans un monde qui a grandement besoin d'encourager les comportements adéquats, la présentation des chiffres est aussi un levier d'action. Est-ce de la malhonnêteté ? Non, la réalité physique ne change pas. Il n'est question que de choisir le prisme le plus parlant et le plus efficace dans un contexte précis.