L’assistance à Maîtrise d’Usage : c’est quoi ?

  • Pratiquer le Design Énergétique
  • 13 Avril 2019
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Pour réfléchir aux questions énergétiques ou pour échanger avec des interlocuteurs, on s’appuie régulièrement sur des concepts fondamentaux. Ce sont un peu les « prémisses » des problèmes à résoudre. On considère bien souvent, pour avancer, que tout le monde est d’accord sur leur signification. C’est un peu notre point de départ commun. 

C’est par exemple le cas de la « performance énergétique ». J’ai pourtant expliqué, dans un article, à quel point cette notion pouvait cacher des compréhensions différentes. Or, si tout le monde ne comprend pas la même chose, il sera bien difficile de travailler ensemble !

Les mots structurent notre pensée, ainsi que la manière dont nous abordons un problème. Ainsi, travailler sur « le chauffage des églises » n’oriente pas la réflexion de la même manière que de travailler sur « le confort des paroissiens » (voir cet article pour l’illustration). C’est pour cette raison que je suis un peu obsédé par le sens des mots. Parce que sans une grande clarté sur leur sens, je ne n’arrive pas à réfléchir. 

Et l’expression « maîtrise d’usage » ou « assistance à maîtrise d’usage » (AMU), aujourd’hui de plus en plus connue, me semble nécessiter une clarification. 

 

AMU : la petite copine du Design Énergétique

 

L’un des fondements du Design Énergétique postule que les phénomènes énergétiques résultent de la relation entre l’usage et les systèmes techniques, bâtiments ou autres. La réflexion sur l’usage est donc fondamentale pour le designer énergétique. 

Comme je le raconte dans mon livre, c’est d’ailleurs en collaborant avec Ludovic Gicquel que j’ai mieux formalisé le Design Energétique. Ludovic, fondateur du groupement Vie-to-B, est aujourd’hui l’un des acteurs en pointe sur le sujet de l’AMU en France. On retrouve d’ailleurs de plus en plus fréquemment la notion d’AMU dans les appels d’offre. 

Cette popularité croissante du terme « AMU » pourrait laisser croire que, ça y est, les acteurs sont de plus en plus conscients du rôle fondamental de l’usager, et de l’importance d’un travail particulier sur le sujet. 

Peut-être… Mais je reste très méfiant. J’ai, par exemple, pu observer que le terme pouvait être utilisé pour décrire une mission allant de « démarche collaborative et transversale pendant 3 ans » à « organisation d’un barbecue des voisins ». Les enjeux, les attentes, les moyens et les méthodes sont bien évidemment fort différents selon les cas. 

C’est pour cela qu’il me semble essentiel de décortiquer l’expression « maîtrise d’usage ». En m’y penchant, j’ai vu que le mot « maîtrise » pouvait se comprendre d’au moins trois manières différentes. Très différentes. Voyons-cela.

 

AMU : Assistance au Contrôle de l’Usager

 

« Maîtriser » quelque chose, cela peut vouloir dire le « contrôler » ou le « limiter ». Ainsi lorsqu’on parle de « maîtriser les consommations », ou « maîtriser sa vitesse ». On parle aussi de « maîtriser un adversaire ». Bien sûr, peu d’acteurs reconnaîtront que c’est bien dans ce sens qu’ils comprennent la « maîtrise de l’usage ». 

 

 

Et pourtant, comme il serait pratique que « les usagers se comportent comme ils doivent se comporter », comme je l’ai déjà vu écrit dans des dossiers d’appel d’offre. Et je ne serais pas surpris que certains acteurs fassent appel aux professionnels de l’AMU dans le secret espoir que les usagers se coulent dans le projet sans faire de vague.

On le sait depuis longtemps : la « médiation », les « espaces d’échange », cela peut aussi servir à faire passer une pillule un peu amère.

Ce n’est pas un discours qu’on peut, politiquement, tenir et afficher. Mais ce n’est pas parce qu’on parle de démarche collaborative qu’on créé effectivement une démarche collaborative. L’actualité récente le montre : on peut très bien dire qu’on fait un « grand débat », et ne pas convaincre tout le monde qu’il s’agit réellement d’un débat. 

Qu’on le veuille ou non, le spectre de la Soumission Librement Consentie (ouvrage passionnant de Joule et Beauvois) plane sur la Maîtrise d’Usage. Le reconnaitre, c’est déjà prendre garde, chacun, à vérifier, que ce n’est effectivement pas dans ce sens qu’on veut l’utiliser. 

 

AMU : Assistance à la Connaissance de l’Usager

 

« Maîtriser » un sujet, c’est en avoir une connaissance intime. C’est, par le travail et la recherche patiente, avoir une acquis une hauteur de vue qui permet d’approcher le sujet d’une manière nouvelle et créative.

L’approche des usages dans le cadre d’un design énergétique demande des outils très différents des outils techniques. On n’aborde pas un comportement humain comme le réglage d’une chaudière. Ce travail demande des compétences différentes de celle du thermicien, c’est à dire des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être différents. 

C’est, je crois, dans cette acception que la maîtrise d’usage est le plus souvent comprise. Bien que ce ne soit pas mon cœur de métier, il n’est pas inhabituel qu’on m’appelle parce que je suis « spécialiste des usages ». 

En un sens, ce n’est pas faux : ce que je sais faire, en tant que designer énergétique, c’est décrire les contraintes d’un usage, en particulier dans ses effets énergétiques. Je sais également « lire » les usages pour en donner une interprétation énergétique. Cela me permet d’adapter les solutions techniques pour une meilleure adaptation. En ce sens, donc, la maîtrise (connaissance) d’usage permet d’assurer un lien harmonieux entre la demande et les solutions techniques qu’on met en face.

Dans cette acception, la « maîtrise d’usage » est plutôt une culture qu’une pratique. Je l’apparente plutôt, d’ailleurs, à une recherche systématique, tout au long de la vie. On a coutume de dire qu’on ne maîtrise pas un art martial, on essaie, au long de sa vie, de s’améliorer.

 

AMU : Assistance au Choeur des Usagers

 

J’aime beaucoup un troisième sens du mot « maîtrise », issu du monde musical. On appelle ainsi une chorale particulièrement confirmée. Ce qui caractérise le chant choral, à mon sens, c’est la notion de compétence individuelle au service d’un résultat collectif. Participer à une maîtrise demande un très grand travail individuel, autant qu’un soliste. Mais ce haut niveau individuel trouve son expression au sein d’un collectif, lui-même gouverné par des règles très précises. 

De nombreux solistes de haut niveau ne sont pas capables d’être des choristes performants. Il s’agit d’une compétence différente. Cela nécessite de gérer constamment l’équilibre entre l’écoute intérieure, individuelle, et l’écoute du groupe que l’on sert.

 

Allégorie rare du 17 ème siècle, intitulée “Les parties prenantes rassemblées autour d'un projet commun” – On remarque qu’à l’époque, l'un des acteurs du projet rampait par terre, tandis que d'autres voletaient. Cette apparente discrimination entre les acteurs, dénoncée par le fondateur de l'AMU Ludivico Gicoliquelo (1635 - 1745) a disparu au 18ème siècle.

 

Je trouve particulièrement éclairante cette compréhension du mot « maîtrise ». C’est définitivement dans ce sens que je comprends le sens de la « maîtrise d’usage ». Comment pouvons-nous aider cette compréhension de l’usage, sujet d’expertise à part entière, à soutenir une démarche plus large de réflexion et de conception. C’est d’ailleurs de la même manière que j’envisage le métier de designer énergétique : une mise au service de compétences énergétiques au service d’un projet plus large. L’énergie n’est pas une fin, elle est un moyen, comme je le dis souvent. 

 

AMU : laquelle choisissez-vous ?

 

Cette réflexion sur les différentes compréhensions possibles de l’AMU m’a aidé, à titre personnel, à éclaircir bien des situations. Comme souvent, la question a plus d’intérêt que la réponse. Quand un maitre d’ouvrage demande l’intervention des usagers dans un projet, j’aime me demander : pourquoi ? A quel endroit du processus l’intervention des usagers va-t-elle agir ?

Lorsque l’intention est réellement de co-construire une relation usage / bâtiment harmonieuse équilibrée, on se rend compte que cela nécessite une réelle « maîtrise d’oeuvre de l’usage ». Est-elle assurée par l’équipe de maîtrise d’oeuvre « bâtiment » et son mandataire, l’architecte ? En tous cas, ce n’est pas mentionné dans les missions. Est-ce que c’est assuré par un autre prestataire, une sorte d’architecte de l’usage ? Alors la mission doit être décrite ainsi, et la tâche est d’ampleur.

 

 

Corollaire : s’il y a autant de travail pour construire l’usage que pour construire le bâtiment, alors il y a autant d’honoraire. Tant que cela paraît incroyable, surréaliste, inacceptable, absurde, c’est qu’il s’agit d’autre chose, d’une autre compréhension du mot « maîtrise ». 

Quelle est-elle, alors ? S’agit-il de « politique » ou de « communication » ? Bien souvent, le volume et la description de la mission devraient permettre de comprendre les enjeux réels.

 

AMU : Bullshit ou pas, c’est ton choix

 

Je pense à titre personnel que nombre de missions d’AMU sont imaginées par leurs commanditaires comme des missions de « rafistoleurs » et/ou de « larbins », au sens des Bullshit Jobs de David Graeber. Attention : ce n’est PAS parce que beaucoup aimeraient que l’AMU soit de cet ordre qu’elle l’est nécessairement. 

J’ai ainsi personnellement vu de magnifiques réalisations, des démarches d’intelligence collective aboutissant à de réelles avancées. Pour que cela arrive, encore faut-il que cela soit voulu par le commanditaire, et orchestré ainsi par le prestataire. Pour que le contraire n’arrive pas, encore faut-il que les professionnels de l’AMU aient la vigilance et la clairvoyance de refuser cette tendance réelle de certains commanditaires à les mettre dans la case Bullshit. Les questions récurrentes devraient toujours être : « est-ce que je sais à quoi ce que je fais ici est utile ? est-ce que les ressources investies ici le sont utilement ? Suis-je capable de définir ce « utile » ? ». Pas de réponse universelle : à chacun, AMU ou pas, de prendre ses responsabilités.