Séchage du linge et performance énergétique

  • Pratiquer le Design Énergétique
  • 13 Mai 2019
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Lorsque je demande autour de moi des exemples de "services énergétiques", certaines réponses sont des grands classiques. Ce sont en général, les services qui sont pris en compte dans les calculs ou qui sont très visibles dans la vie quotidienne. Le chauffage, bien sûr, mais aussi l’eau chaude sanitaire ou l’informatique en font partie. Et puis, il y a les grands oubliés. J’appelle ainsi ces services énergétiques omniprésents, mais presque invisibles. Au premier rang de ces services oubliés, je classe le séchage du linge.

 

SÉCHAGE : OÙ EST LE PROBLÈME ?

Séchage : envahissant

Si nous regardons autour de nous, le séchage du linge, omniprésent, est à la fois une contrainte et une source de nombreux problèmes. Traditionnellement, il séchait dehors ou dans le grenier. Aujourd’hui, 75% des français habitent en ville. Lorsqu’il est autorisé, le séchage à la fenêtre ou au balcon pose quelques problèmes esthétiques ou de pudeur. Tout le monde n’aime pas exposer ses caleçons et culottes…

 

 

Mais lorsque le séchage se fait à l’intérieur, les problèmes s’accumulent. Sécher, cela veut dire mettre dans l’atmosphère du logement plusieurs litres d’eau sous forme de vapeur. Or, dans des logements à la ventilation et à l’isolation plutôt variables, cela entraine couramment condensation, désordres, moisissures, saturation de l’air, etc. 

 

On peut évoquer également la place que cela prend. Où mettre le «tancarville» ? Au milieu du séjour ? Sympa, la pièce principale. Dans la chambre ? Dans la salle de bain ? Dans tous les cas, c’est envahissant, puisque jamais prévu dans les plans.

Séchage : consommateur

Il est donc logique que les plans mentionnent maintenant systématiquement un petit "SL", c’est à dire un sèche-linge. Problème résolu ? Pas tellement. Évaporer de l’eau, cela consomme de l’énergie (nous allons y revenir). Le sèche-linge est donc une consommation supplémentaire systèmatique. L’ADEME annonce 350 kWh/an sur la base des données européennes normées, mais des études récentes évoqueraient plutôt des valeurs autour de 200 kWh/an. Ah, mais il s’agit d’énergie finale ! Compté en énergie primaire pour ces appareils électriques, cela nous fait donc un joli 500 à 700 kWhep/an. 

Dans un appartement de 80 m2, nous voici donc avec 7 à 10 kWhep/m2/an. Ce n'est clairement pas négligeable dans des logements modernes, où l'on envisage des besoins d'ECS ou de chauffage de l'ordre de 10 kWh/m2/an 

Séchage : ça chauffe

Mais en plus, un tel appareil dégage de la chaleur, et pas qu’un peu ! Dans des logements modernes et isolés, nous voilà avec une belle et grosse source de surchauffe. J’ai eu personnellement un cas, dans une crèche, où la buanderie emmenait en surchauffe tout un bâtiment de 1000 m2.

On pourra toujours dire que c’est toujours ça de gagné l’hiver. Encore faut-il, pour que cela fonctionne vraiment, que l’on conçoive bâtiments et systèmes pour cela, par exemple en couplant la régulation du chauffage au démarrage du sèche-linge. Je ne l’ai encore jamais vu. Normal : cet usage "mobilier" n'est jamais pris en compte dans les approches réglementaires ou conventionnelles de conception des bâtiments.

Séchage : la galère

Difficile en un seul article de faire le tour de tous les problèmes liés au séchage du linge dans les logements. Ce n’est d’ailleurs pas mon objectif. Si vous êtes ici pour avoir le meilleur conseil en matière d’achat de sèche-linge, c’est raté. 

Ma conclusion à ce stade, en ce qui concerne les concepteurs de bâtiments, est double :

  • le séchage du linge pose de multiples problèmes (énergétique, désordres, espace, etc.)
  • tout le monde s’en fout (ou résume ça à un problème de choix de sèche-linge) - je parle bien ici de la conception de bâtiments, car de nombreux chercheurs s'intéressent de près à la question des sèche-linge eux-même.

De cela, je ne peux pas me satisfaire. Je vous propose donc de remonter à l’origine du problème pour que nous répondions à ces deux questions :

  • comment réduire la demande en service « séchage » ?
  • comment assurer le service résiduel de manière intelligente ?

Et vous allez voir, nous ne sommes pas sortis de l’auberge…

 

 

SÉCHAGE : QU'EST-CE QUE SÉCHER DU LINGE ?

Cette question apparemment anodine, j’ai commencé à me la poser alors que j’étais jeune ingénieur de recherche en thermique humaine chez Salomon. J’avais ouvert une véritable boite de Pandore.

J’avais été confronté au problème par deux angles différents.

Séchage : lorsque sécher = évaporer

Le premier est celui du confort. Lorsque nous transpirons, la sueur liquide est normalement destinée à s’évaporer sur notre peau. Cela provoque un refroidissement, et c’est ce que cherche à faire notre corps. 

Pourquoi ? Parce que pour faire passer un gramme d’eau de l’état liquide à l’état gazeux, il faut fournir environ 2500 Joules. Ça ne vous parle pas ? Cela veut dire que pour évaporer 1 litre d’eau, il faut autant d’énergie que pour, par exemple :

  • Augmenter la température de 600 litres d’eau de 1°C, ou 60 litres d’eau de 10°C
  • faire fonctionner un être humain (2000 kCal, soit 8400 kJ) pendant une journée de travail au bureau

Lorsque nous sommes vêtus, le liquide se transfère en général au textile, et c’est là qu’il s’évapore, et il existe des mesures standardisées (ou pas) permettant d’évaluer cette capacité du textile à transférer de l’humidité.

Le phénomène est le même lorsque nous sommes en contact avec un textile humide. Même si nous n’avons pas besoin de nous rafraîchir, l’évaporation se produit quand même, et cela peut nous faire grelotter.

 

C’est même cela qui, en réalité, nous permet de savoir si quelque chose est « mouillé ». Je vous ai déjà dit, dans cet article que nous n’avons pas de « capteur de mouillé ». Le refroidissement par évaporation est donc un indicateur fort, pour nous, du fait que « c’est mouillé ». 

Arrêtons-nous un instant pour bien cerner ces deux phénomènes :

  • nous faisons un lien très fort entre la notion de « c’est mouillé » et celle de « c’est froid ». 
  • nous assimilons de même facilement la notion de « séchage » à la notion d’évaporation. 

Gardons ces deux points en mémoire pour l’instant…

Séchage : lorsque sécher = enlever l’eau

Toujours jeune ingénieur chez Salomon, j’ai été confronté au séchage dans un autre cas : celui des chaussures ou chaussettes de ski. Le problème est différent du précédent. Quand le pied est enfermé dans une coque en plastique pendant 8 heures, rien ne s’évapore. Les chaussures (et chaussettes) fonctionnent donc exactement comme une couche culotte. On transporte l’eau liquide loin de la peau, et on la stocke le temps nécessaire. 

On cherche ainsi à éviter l’autre sensation qui nous permet de dire « c’est mouillé » : cet sensation de glissement sur une peau ramollie. 

La question du séchage intervient plus tard, en particulier pour les loueurs : le lendemain matin, toute l’eau doit être partie. La solution traditionnelle, là aussi, est le séchage. 

Mais lorsque je me suis penché sur le sujet, j’avais étudié deux autres voies. La première est réellement celle de la "couche culotte" ou des serviettes hygiéniques. Plutôt que de vouloir sécher vite l’ensemble, on utilise des couches intermédiaires que l’on gère ensuite séparément (bref : on s'en débarasse). C’est ce qu’on fait lorsqu’on change de vêtement. 

Et puis il y a l’autre voie. Celle qui consiste à poser le problème ainsi : ce qu’on veut, c’est enlever l’eau liquide. Il n’y a pas a priori de réel besoin de l’évaporer.

Cette deuxième voie, c’est ce qu’on appelle l’essorage. Dit en termes de designer énergétique : l’extraction de l’eau liquide en exerçant une action mécanique supérieures aux forces capillaires qui la retiennent dans le textile.

La tension de surface, cette force presque magique qui, aux petites échelles,
supplante la gravité et fait "remonter" les liquides dans les fibres

 

Arrêtons-nous de nouveau pour poser ce constat : si l’objectif est d’extraire l’eau d’un textile, alors il est possible de le faire soit par évaporation, soit par essorage

Tout ca pour arriver à la conclusion qu’il faut essorer le linge et le faire sécher ? Oui, tout ça pour ça. Mais pas seulement… 

Parce qu’en décomposant ainsi les phénomènes, nous avons maintenant ouvert les différentes portes, identifié les différents curseurs. 

Tous ? Non, pas tous…

 

Séchage : mais… pourquoi sécher ?

Ce que nous avons vu jusqu’à maintenant, c’est que la notion de « séchage », c’est à dire « amener quelque chose de mouillé à sec » peut prendre deux chemins. Mais nous ne sommes pas beaucoup plus précis pour autant. 

Pour avoir tous les leviers qui nous ont amenés à la montagne de sèche-linges branchés dans nos logements, il nous faut encore poser deux questions :

  • Comment définir "quelque chose de sec" et "quelque chose de mouillé" ?
  • Mais pourquoi diable a-t-on besoin de sécher autant de trucs chez nous ?

 

SUR LE MOUILLÉ ET LE SEC

Un peu d’expérience

Tentez l’expérience chez vous. Prenez différents vêtements, humectez les à différents degrés d’eau, puis tâchez de dire par le ressenti lesquels sont plus mouillés que les autres. Si vous comparez votre classement « sensuel » avec la quantité d’eau que vous avez versé sur les vêtements, vous serez surpris : il n’y a probablement aucun rapport…

Je vous l’ai dit : nous n’avons pas de capteur de « mouillé ». Nous percevons ainsi, au toucher d’un textile, une sensation mêlant de multiples critères, dont l’effusivité, la souplesse, la « main », le bruit, la douceur, le poids, etc. En tout cas, rien sur quoi on puisse se baser objectivement pour dire « c’est sec » ou « c’est mouillé ». 

Un autre exemple pour illustrer : la couche culotte (encore... j'adore les couches culotte). Tout le monde a entendu ce slogan : « même mouillés, ils sont secs ». Voilà… tout est dit. On ne peut pas s’y fier. 

 

 

Mais alors, quel est le problème ?

 

À ce stade, nous pourrions être embrouillés : on ne sait même plus ce qu’il faut fournir comme service énergétique ! Et oui. Tout cela est très, très flou. D’autant que, suivant la météo et l’humidité ambiante, les textiles réagissent plus ou moins. Si vous pesez précisément un habit en coton lors d’une journée bien sèche et après une journée de pluie, vous verrez qu’il a pris du poids. 

Bon, j’arrête icide vous embrouiller, et vous propose donc MA définition du service « séchage du linge ». Le séchage du linge permet d’extraire d’un textile la quantité d’eau excessive par rapport à son état d’équilibre avec l’ambiance.

Cela peut sembler facile. Mais l’intérêt de cette formulation, c’est qu’elle définit un niveau de départ et un niveau d’arrivée mesurable, et qu’elle est généralisable à tous les textiles. Et lorsque nous nous posons la question de la manière la plus économe de répondre au besoin « linge sec », cela nous sera très utile. Le service sera minimal lorsque nous aurons identifié les paramètres menant à une minimisation de la quantité d’eau à extraire.

Mais avant d’en arriver là, il me semble nécessaire de poser une dernière question : mais pourquoi diable avons-nous autant d’eau à extraire d'autant de linge ?

 

POURQUOI SÉCHONS-NOUS DU LINGE ?

Une brève histoire du propre

Cela pourrait s’apparenter au jeu des « pourquoi » avec les enfants.

  • Pourquoi séchons-nous ?
  • Ben… parce qu’on fait la lessive
  • Pourquoi on fait la lessive ?
  • Ben… pour être propres
  • C’est quoi, être propre ?
  • Ben… c’est pas sentir mauvais (par exemple)

Il y a dans cette série de questions / réponses de nombreux sauts qui paraissent logiques, et ne le sont en réalité que fort peu. 

La littérature sur l’histoire de l’hygiène corporelle (par exemple ici) montre à quel point tout cela est profondément culturel. Il y a là un mélange entre les avancées techniques, celle des connaissances en hygiène, la disponibilité des ressources et les croyances de chaque époque. Vous pouvez également relire cet article où l'on décrit la lessive à la fin du 19ème siècle.

Ce qu’on peut retenir, c’est que jusqu’à récemment (ma grand-mère l’a fait…), on ne faisait une véritable lessive complète que 3 à 4 fois dans l’année. Par « lessive », j’entends « la grande buée », avec lavage à l’eau chaude, savon, rinçage, etc. Le reste du temps, toutes les deux à trois semaines, on rinçait simplement le linge, ce qu’on appelait « essanger ».

Et vers les années 50, divers phénomènes se sont cumulés :

  • une forte augmentation du nombre de costumes dans la garde-robe
  • une grande facilité de lessive complète avec la généralisation des machines motorisées et automatiques
  • un développement de la publicité autour du thème "c’est blanc et ca sent bon"

 

 

En faisant très, très court, on peut dire que cela nous a rapidement conduit à la normalisation d’une lessive quasi-journalière dans les familles, et à l’accélération des cycles de portage des vêtements. Nous n’allons pas débattre ici de la légitimité des lavages, sujet hautement amusant à lancer en repas de famille. 

 

Soulignons quand même ceci : les odeurs sont produites par des bactéries anaérobies, c’est à dire qu’elles se développent en l’absence d’oxygène. Par ailleurs, ces odeurs n’ont qu’un lien ténu avec la notion de « propre » au sens hygiéniste. En clair : ce n’est pas parce que ça pue que c’est sale, et inversement. 

RESTONS-EN LÀ POUR L'INSTANT

Voilà, je crois que nous avons suffisamment planté le décor, c’est à dire balayé les différents enjeux autour de ce simple service : sécher du linge. Qu'avons-nous fait ? Ce que fait tout designer énergétique quand il aborde un sujet :

  • décrire aussi précisément que possible le service à obtenir
  • décrire aussi précisément que possible les différents facteurs influant sur l'ampleur de ce service

Et nous verrons dans un second article de quelle manière tout cela peut structurer notre réflexion sur le sujet, de manière à concevoir les systèmes, bâtiments et organisations qui minimisent la demande en ressource énergétique.