UGG : l’histoire d’une botte qui n’aime pas la montagne

  • Pratiquer le Design Énergétique
  • 04 Mai 2017
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Le moins que l’on puisse dire c’est que Vanessa n’est pas très contente. Le premier jour des vacances au ski, elle a déballé ses jolies bottes UGG, trouvées à 189€ en promotion « Spéciales vacances d’hiver ». Elle avait tout de suite flashé, tellement elles avaient l’air chaudes et confortables. Ce serait parfait pour l’après-ski ! Malheureusement les désillusions s’étaient vite enchainées. Dès qu’elle avait mis un pied sur le trottoir tout juste déneigé, elle s’était pris un gadin mémorable. Clairement, les bottes fonctionnaient plus comme un patin à glace qu’un crampon pour face nord. Qu’a cela ne tienne. Vanessa avait tenu bon en marchant carrément la route, là ou l’on voyait le bitume.

Deuxième désillusion : au bout de 100m, elle commença a sentir une drôle de sensation. Baissant les yeux vers ses pieds, elle constata qu’une auréole sombre progressait rapidement vers sa cheville. Quoi ? Ces après-ski à 200€ ne sont pas étanches ? Elle en eu vite la confirmation quand elle sentit la sensation de mouillé pénétrer jusqu’à ses orteils. De retour, après à peine 20 minutes dehors, c’était la consternation. Les jolies bottes marron claires avaient pris un aspect maronnasse dégoulinant, ses orteils étaient congelés, et son moral n’était pas reluisant. Non mais c’est quoi ces après-ski qui ne supportent pas la neige ?

 

Sea, surf and sun 

La botte UGG est un exemple quasi parfait d’un produit au fonctionnement énergétique idéal pour la situation dans laquelle il a été prévu, mais dont l’histoire a dérivée de telle manière que le produit devient complètement incohérent. Un petit retour vers le passé nous aidera à comprendre ce qu’il se passe.

 

Histoire : Nous sommes à la fin des années 80 en Australie. Les surfeurs sont légions sur cette belle plage. Etre surfer consiste à passer beaucoup de temps dans l’eau à attendre une vague, en espérant quelques secondes de bonheur. Pour le surfer, la sortie de l’eau est normalement un moment de réconfort. Il va retrouver deux choses spécialement agréables :

  • de la chaleur dans des vêtements secs
  • la copine qui a attendu patiemment tout l’après-midi.

C’est dans ces années qu’est apparu la botte UGG. L’idée était la suivant : quand on sort de l’eau, on a envie de glisser les pieds dans quelque chose de sec et de chaud. Brian Smith eu un jour l’idée de coudre des chaussons fourrés en cuir d’agneau. Il ajouta une large semelle épaisse et confortable de manière à marcher dans le sable de façon efficace. Le résultat s’avéra parfait pour plusieurs raisons.

1. Un pied nu dans un bottillon

Quand on se met pied nu dans un bottillon fourré en laine avec un cuir extérieur, la structure capillaire est telle que l’eau est tout de suite absorbée, puis éloignée de la peau pour aller à l’extérieur du cuir. On a donc tout de suite une sensation de pieds secs. Cela fonctionne un peu comme une couche culotte ou une serviette hygiénique.

2. Une tige en cuir de mouton hydrophile

La peau de mouton n’est pas étanche à l’eau. Ainsi, l’eau transférée par capillarité de la peau du pied vers la surface extérieure du cuir peut facilement s’évaporer, si les conditions météo le permettent. Concrètement : cette construction est une véritable “machine à sécher les pieds”. Et justement, sur les plages australiennes, les conditions le permettaient  : même si le fond de l’air était frais, le temps était sec.

3. Une construction isolante suffisante

Faisons un calcul grossier pour fixer les idées. Lorsqu’on se sent bien, le corps envoie au niveau du pied une puissance thermique de l’ordre de 20W, via le sang chargé de chaleur. Prenons le cas d’une température extérieure de -5°C. On parvient alors à maintenir le pied à une température stable si l’épaisseur d’isolant est d’environ 1,25 cm. On l’atteint facilement avec la laine de mouton non comprimée, c’est à dire lorsqu’on s’assoit sur une plage ou qu’on marche peu.

4. Une semelle adaptée

La semelle large et à peu près lisse permet d’avoir une grande surface d’appui sur le sable et donc d’avancer de manière à peu près correcte. De plus, la conduction thermique sous le pied, se fait avec le sable, un matériau peu conducteur car pulvérulent. On a donc peut de problème de refroidissement par le dessous du pied.

Ces bottillons d’après-surf étaient donc l’article idéal. Ils répondaient aux conditions énergétiques et à l’usage qui en était fait : un climat sec, une peau humide, un pied froid qui a besoin de se réchauffer et un environnement de type plage ensoleillée.

L’histoire a commencé à dévier lorsque les copines des surfeurs ont trouvé ces bottillons à leur gout . Au début, elles ne les portaient que lorsqu’elles patientaient en attendant le retour de leur amoureux. Puis, certaines ont commencé à les mettre en ville. Et c’est ainsi qu’elles sont devenues chaussure de ville et accessoire de mode. Un jour, ce sont les stars américaines, comme Oprah Winfrey, Jennifer Anniston ou Cameron Diaz, qui ont commencé à les porter. Ça a été le buzz total. Tout le monde s’est retrouvé avec des bottes UGG. Les chaussons d’après-surf étaient définitivement devenus un accessoire de mode, comme l’atteste le site internet de la marque.

Ugg : Un agneau perdu en montagne

Mettons-nous à la place de ceux qui fréquentent la montagne ou les stations de ski. Ils voient arriver une botte fourrée. Pour nous, botte fourrée = c’est chaud. Egalement, l’histoire nous a laissé un raccourci du genre botte fourrée = après-ski.

Rapidement donc, les bottes UGG se sont retrouvées placées dans les magasins d’activités de montagne. Problème : On ne peut vraiment pas dire que la montagne et l’après ski soient des conditions similaires aux plages australiennes. Là ou l’environnement était sec il est maintenant humide. Le sol était constitué de sable, il est maintenant formé de neige tassée ou d’un mélange glissant. Là où la peau était nue et mouillée, elle est maintenant enveloppée d’une chaussette. Ainsi, non seulement l’environnement, mais également les conditions d’usage ont radicalement changées pour être quasiment à l’opposé de ce qu’elles étaient à l’origine de la conception. Voyons pour quelles raisons c’est un véritable problème.

1. La chaussette n’est pas un pied nu

Le fonctionnement capillaire originel était parfait car il y avait une diminution continue des structures capillaires de la peau vers l’extérieur du cuir. De plus, il y avait un contact direct de la peau : pas de “saut” à franchir pour l’eau liquide avant d’entamer le voyage vers l’extérieur.

Dès qu’on porte une chaussette, ce n’est plus le cas. Il y a une structure fine (la chaussette, et surtout ses fils), une structure plus large (la laine) puis de nouveau une structure fine (le cuir). Et surtout, il y a un “saut” ! À de nombreux endroits, la distance entre la chaussette et la laine est supérieure à la taille de la structure des fils. L’eau “préfère” rester dans la structure serrée de la chaussette. Il n’y a donc plus aucun mouvement naturel de l’humidité et le mouillé qui peut arriver dans la chaussette reste bloqué là car il ne peut pas passer dans la laine.

2. Le matériau extérieur

ugg mouillésNos amis australien ont choisi un superbe cuir d’agneau. Problème : non traité, c’est un matériau hydrophile. Par ailleurs, la constitution de la botte fait que, du point de vue capillaire, les structures les plus espacées sont à l’intérieur, les structure resserrées étant à l’extérieur. Naturellement, donc, l’eau a tendance à se stocker à la surface extérieure de la botte. En climat sec, sur une plage, pas de problème.
Mais quand on est à la neige, a fortiori une neige humide, c’est exactement le contraire :  très rapidement le cuir se trouve mouillé à l’extérieur ! Notre botte sèche isolait le pied d’un air extérieur plus froid. Mais une fois le cuir mouillé, l’isolation doit se faire entre le pied et de l’EAU à basse température. L’eau ayant une capacité thermique quatre fois supérieure, les déperditions au niveau du pied sont quadruplées

3. L’intérieur du bottillon

La botte UGG est fourrée de laine de mouton. C’est un matériau génial en tant qu’isolant. Le principal problème c’est qu’un isolant ne l’est que lorsqu’il a une certaine épaisseur. Si l’épaisseur est réduite, de manière proportionnelle on réduit l’isolation. On s’en moque un petit peu quand on est sur une plage australienne, parce que le sol n’est pas froid, qu’on ne serre pas les chaussures et qu’on marche peu sur une plage.

Mais quand on marche dans une rue de montagne, on écrase l’isolant en dessous du pied et sur les côtés, pour “tenir” le pied.  La laine étant écrasée, on n’a plus d’épaisseur isolante… et c’est très froid !

 4. La semelle

La semelle initiale a été conçue pour marcher sur du sable, une matérieau peu conducteur et mou. Aucun besoin d’adhérence particulier. Or, quand on marche sur la neige tassée, ça glisse et en plus c’est froid et conducteur. Il y a donc nécessité d’un certain niveau d’isolation qui n’est absolument pas fourni par la semelle caoutchouc montée d’origine sur le bottes UGG. Résultat en montagne : ça glisse horriblement mais en plus, et la perte de chaleur est intense. Celle-ci ne peut être que très partiellement compensée par le port d’une chaussette, dont on a vu qu’elle n’est pas très “compatible” avec le fonctionnement naturel de cette chaussure.

 

Conclusion pour Vanessa

Pour ces quatre raisons au moins, le fait de placer une botte UGG dans un environnement de montagne est une absurdité. Regardons le texte proposé par un site de référence en matériel de montagne, Montaz.com :

Confortables et chaudes, les Ugg Boots sont un des accessoires cosy pour l’hiver, mais peuvent aussi être portées quand pointent les premiers frimas de l’automne, pour un look à la fois chic et sauvage.

En termes de materiel de montagne, les “accessoires” regroupent les “petits produits qui tiennent chaud : bonnets, gants, etc. Les Ugg Boots “confortables et chaudes” pour un magasin de montagne de référence ? Cette “évidence marketing” ne tient absolument pas à l’épreuve des faits, dès que l’on sort du magasin. En revanche, la botte UGG reste un excellent produit pour les contextes qui sont proches de ceux pour lesquels elle a été conçu… ou comme pantoufle (de luxe). Ma maman trouve que c’est une excellente alternative à la charentaise, cette pantoufle en feutre dont la construction est extrêmement similaire à la botte UGG. A quand Cameron Diaz en charentaises ?
Et pour rassurer notre Vanessa, tellement déçue de n’avoir pu utiliser ses belles bottes lors de sa saison de ski : le printemps approche ! La saison de surf, la plage commencent à apparaitre au bout de l’horizon. Ce sera bientôt le moment de ressortir les Ugg qui enfin fonctionneront dans un contexte adéquat.

L’alternative (pour Ugg) pourrait être une modification de la conception de ces bottes afin de « remettre à l’endroit » les paramètres que nous avons évoqués : la structure capillaire, l’état de surface, le fonctionnement de l’isolation. Cela pourrait être assez simple et pour un designer averti, il devrait être possible de conserver un aspect similaire  avec un fonctionnement énergétique cohérent avec une situation de montagne si c’est la situation souhaitée. Un beau challenge de design énergétique !

ugg - attention