OSCAR, Un pont jeté par les architectes vers les ingénieurs

  • Pratiquer le Design Énergétique
  • 02 Juin 2017
  • 9 commentaires

OSCAR - téléphone Thierry est architecte depuis 18 ans, son agence compte maintenant 4 collaborateurs. Pourtant, à chaque fois qu’il se prépare à appeler l’ingénieur Sakaille, il ressent toujours la même lassitude. Gilbert Sakaille est l’ingénieur qui dirige le bureau d’études fluides auquel il a recours habituellement. L’entreprise s’appelle Bureau d’Études Techniques et Énergétiques. En abrégé… BETE..

Cela pourrait faire rire : un ingénieur chargé du chauffage qui s’appelle Sakaille, un BE à l’acronyme ridicule. Mais cela ne fait plus rire Thierry depuis longtemps. Avec un soupir, il décroche le téléphone. Après les politesses habituelles, il entre dans le vif du sujet : « voilà, on a cette école à Brou-la-Bridoire, on voudrait faire du passif, et on commence l’esquisse… J’aurais besoin que tu me dise ce que je mets comme épaisseur d’isolant.

On entend le sourire de Gilbert Sakaille, même dans le téléphone : « Facile : envoies-moi les plans, et je te dis si ça passe ! » Moment de solitude de Thierry… « Mais… pour implanter le bâtiment et faire une esquisse, j’ai besoin d’avoir une idée des épaisseurs ! » Sakaille ne se démonte pas : « J’entends bien… mais pour ne pas dire n’importe quoi sur les épaisseurs, j’ai besoin de plans... ». Un ange passe… Thierry sent de nouveau un poids sur ses épaules, et se souvient avoir cherché la semaine dernière sur internet. Dans sa région des Causses du Bigarois, le BETE et l’ingénieur Sakaille sont les seuls interlocuteurs possibles. Il va falloir s’accrocher, une fois de plus.

 

Une idée fondatrice pour OSCAR : rapprocher les deux mondes

 

Je suis ingénieur de formation, et cela fait plus de 10 ans que je donne des formations à des groupes d’architectes. Aussi, à chaque session, je prends un temps pour interroger les participants sur les relations avec leurs bureaux d’études. En risquant la caricature (on peut aussi s’en amuser !), les réponses sont quasi-constantes : ingénieurs et architectes ne sont pas « cablés » pareil. L’immense majorité témoigne des difficultés de compréhension.

Parfois, un architecte témoigne avoir croisé sur sa route un ingénieur avec lequel « ça passe ». Dans ce cas, il ne le lâche plus… voire il l’embauche !

Rassurons-nous : quand ce sont des ingénieurs que j’ai en formation, ils s’attristent également sur les difficiles relations avec les architectes. C’est donc peu dire que ces deux univers, pourtant intimement liés dans une conception de bâtiment, ont souvent du mal à communiquer. Et bien souvent aussi, pourtant, chacun fait de son mieux ! Ainsi, l’ingénieur qui se rend « compatible » avec le travail de l’architecte fait déjà un grand pas au service de la qualité des bâtiments.

Cela peut se faire, par exemple, en modifiant l’utilisation des outils, comme je l’ai évoqué pour la STD. Mais en matière de travail collaboratif, cela marche encore mieux quand les deux protagonistes font un pas vers l’autre. C’est la raison pour laquelle le Conseil National de l’Ordre des Architectes a créé le logiciel OSCAR, proposé gratuitement à tous les architectes inscrits au tableau.

La commande originale était presque aussi simple que le cahier des charges de la 2CV : proposer aux architectes n’ayant habituellement pas recours à un énergéticien, un outil qui puisse au moins partiellement s’y substituer et permettre de « lancer » le projet sur les bons rails. Le propos est également politique. Avec un tel outil, l’Ordre affirme que l’architecte est un interlocuteur parfaitement légitime sur les questions énergétiques.

 

Un tout petit peu d’histoire…

 

Une fois le groupe de travail réuni, regroupant architectes, ingénieurs et ni-ni (ni architecte, ni ingénieur), il fallut pas moins de 6 mois pour élaborer une vision claire. Quand je disais que ces deux mondes ont du mal à se comprendre ! D’abord parce que chaque mot (« usage », « épaisseur », etc.) est interprété différemment par chacun. Mais surtout parce que la « logique thermique », sur laquelle repose tous les logiciels de calcul énergétique est inadaptée dans les phases préliminaires.

Pour faire court : à un moment, pour le thermicien, il faut en passer par des surfaces et des résistances thermiques. Le « bâtiment de l’ingénieur » est un ensemble de parois à travers lesquelles passe de l’énergie. Et un calcul est d’autant plus fiable que les données sont précises. L’ingénieur peut d'autant mieux répondre à des questions précises qu'il a suffisamment d'information.

A l’inverse, l’architecte a besoin de beaucoup de réponses le plus tôt possible, justement quand il y a très peu de données. En tous cas, pas assez pour nourrir un calcul propre !

C’est pourquoi les premières séances de travail ont consisté en « speed dating » : 20 minutes de face à face entre un énergéticien et un architecte. Aucun calcul. Et pourtant… quelque chose se passe, le projet s’améliore. C’est ce « quelque chose » qu’OSCAR vise à reproduire.

 

OSCAR - page principale

Je pense également important de noter qu’aucun éditeur de logiciels de thermique reconnu n’a souhaité répondre à la consultation lancée pour le développement d’OSCAR. On pourrait comprendre qu’il soit délicat de développer un logiciel gratuit pour 30 000 clients potentiels d’un logiciel que l’on vend déjà. Mais je pense que la raison est plus profonde.

Ce que fait OSCAR n’est pas de la thermique « habituelle », on pourrait dire « rigoureuse ». Il fait un peu de calcul, pioche dans des références étrangères, fait des arbitrages…

Tout cela fait un peu « cuisine maison », et cela fait a priori fuir les experts reconnus de la thermique classique. C’est pourquoi OSCAR a été développé par un artisan développeur expert en méthodes agiles, Xavier Nopre (Logixen). Comme il n’est absolument pas thermicien (quoiqu’on le devienne un peu en chemin !), le poids des coutumes énergétique ne s’est pas fait sentir.

 

Ce que fait OSCAR

 

OSCAR a été mis en ligne au printemps 2013, puis amélioré avec l’adjonction d’un module spécifique sur la rénovation livré fin 2014. Un nouveau seuil a été franchi début 2016, grâce au partenariat du CNOA avec l’éditeur Cype France : OSCAR permet désormais à tout architecte de générer ses propres attestations RT2012 de niveau PC. Voyons un peu plus précisément de quoi il retourne, sur trois points majeurs…

 

OSCAR et l’approche « par les tangentes »

 

L’intérêt principal d’OSCAR,  c’est qu’il applique la philosophie de l’approche « par les tangentes » (Cet article explique de quoi il s'agit). C'est en cela qu'il est vraiment un outil « pour l’architecte ». En ayant recours à des calculs simplifiés et des retours d’expérience, avec un souci permanent du juste niveau de détail, il s’attache à donner le maximum d’informations utiles à la conception avec le minimum de données d’entrée. Les valeurs de calculs énergétiques sont par essence déjà difficiles à fiabiliser dans les phases tardives de conception. Il serait donc carrément utopiste de donner un résultat de calcul dans ces phases amont. OSCAR ne rend par conséquent aucun résultat chiffré, mais place un curseur sur une réglette. Il intègre la possibilité (propre aux logiciels de STD, alors qu’il n’en est pas un !) d’ajuster les scénarios de fonctionnement, et propose plusieurs outils pour aider l’architecte à avancer rapidement dans son projet.

  • OSCAR propose les améliorations de manière itérative, actualisant ses propositions en temps réel. Les priorités sont affichées en rouge, et le système propose toujours des valeurs « de référence ». L’expérience montre qu’en 15 minutes et sans expérience importante, l’architecte parvient à caler les paramètres majeurs d’une conception de niveau passif.
  • Tous les termes techniques sont expliqués, et des valeurs typiques sont fournies, afin de ne jamais être bloqué longtemps par une incompréhension.

 

OSCAR et la rénovation

 

OSCAR - rénovation

Bien plus que la construction neuve, la rénovation des bâtiments existants est un enjeu majeur de la Transition Énergétique.

Et curieusement, les architectes sont quasiment absents de ce marché, dominé par les artisans, les entreprises du bâtiment et le DIY. Apte à prendre en charge de nombreux aspects d’une rénovation (patrimoine, désordre, coordination des corps de métier, agencement, etc.), il manquait à l’architecte une vision énergétique.

Le module Rénovation d’OSCAR, bâti sur la même logique que la partie « construction », permet d’identifier rapidement une approche cohérente. Par comparaison avec le projet initial, l’architecte élabore ainsi rapidement une stratégie globale de rénovation.

 

 

OSCAR et la RT2012

 

Pour beaucoup d’architectes, la RT2012 est en grande partie mal vécue, probablement parce que mal communiquée. Elle impose un travail énergétique en amont, en particulier sur l’enveloppe. C’était, à l’époque, une grande avancée, et aussi un important changement culturel. La mise en oeuvre de cette contrainte, concrètement, consiste en l’obligation d’adjoindre au dossier de Permis de Construire une attestation basée sur un calcul RT2012 partiel (ne rentrons pas trop dans les détails…).

Cette attestation, vécue comme « juste un papier en plus » a été l’occasion d’ouvrir un important marché. On peut garantir que lorsqu’une attestation vaut 100 ou 150 €, il n’a pas fallu beaucoup de temps pour l’élaborer, un ingénieur débutant coûtant entre 600 et 700 € par jour…

En permettant à l’architecte de réaliser lui-même les attestations de ses projets, OSCAR lui permet surtout de garder la main sur son projet, et de lui conserver une cohérence. Avec un peu de pratique, la procédure prend environ 30 minutes tout compris.

Cela comprend une pré-évaluation entièrement réalisée sous OSCAR, avec vérification des exigences de moyens et calcul du Bbio). Ensuite, un logiciel partenaire (gratuit pour l'architecte) permet de générer le fichier HTML officiel. Et pas besoin d’avoir recours à un prestataire complémentaire !

 

En conclusion

 

Lorsque je me suis présenté au bureau du CNOA pour accompagner le développement d’OSCAR, on m’a demandé si je n’avais pas peur de « perdre mon travail » en développant un logiciel qui remplace les énergéticiens. La réponse est non. D’abord parce que OSCAR n’est pas fait pour se substituer aux énergéticiens.

Mais aussi parce qu'il prend une place là où ils sont souvent absents (petits projets, petites structures, etc.).

Par ailleurs, dans tous les cas, il permet à l’architecte d’avancer lui-même rapidement sur les phases amont.

Ainsi, lorsqu’il prend contact avec un ingénieur, une part du chemin l’un vers l’autre est déjà faite. De nombreuses données sont déjà disponibles en « langage ingénieur », facilitant la compréhension mutuelle.

Enfin et surtout, un logiciel est fait pour simplifier la vie, et aller plus vite vers une plus grande créativité. La créativité, vous savez, c’est cette partie du travail qui, jamais, ne pourra être réalisée par un logiciel, aussi « intelligent » soit-il.

A charge pour les ingénieurs de toujours fournir quelque chose qu’un logiciel ne sait pas faire !