Qu’est-ce qu’un bâtiment performant ?

  • Pratiquer le Design Énergétique
  • 19 Avril 2017
  • 5 commentaires

Il y a quelques mois de cela, j’étais invité à un colloque traitant de la « rénovation performante des écoles en climat méditerranéen». Nous y parlions en particulier de « l’implication des usagers ». Pendant deux jours, de doctes spécialistes, concepteurs et exploitants de lieux se sont succédés, expliquant par le détail les méthodes et techniques à employer et les résultats obtenus en matière de consommation énergétique et de confort. Nous avions convenu avec les organisateurs du colloque que, quitte à évoquer les usagers, autant inviter les premiers concernés. Une classe de CP/CE1 avait donc été conviée à parler à la dernière table ronde de l’évènement. Après 2 jours de kWh, de DJU, de rendements de systèmes et de modes constructifs, ces enfants décrivaient, dans la grande salle de la Mairie de Montpellier, ce qu’ils aimaient ou aimeraient dans leur école. Une partie de l’assistance a senti les poils se dresser d’émotion. Certain.e.s touchés par la délicatesse, le charme, la pertinence des jeunes « presque maîtres d’ouvrage ». D’autres plein.e.s de colère : que faisaient des enfants de 6 ans dans cette assemblée de spécialistes ? Lorsque j’ai pris la parole à leur suite, j’étais revigoré. Et j’ai commencé mon intervention en remarquant qu’il n’était pas précisé, dans les documents fournis, qu’il s’agissait d’un colloque sur la  « performance énergétique ». L’intitulé parlait de « rénovation performante », et néanmoins, nous n’avions presque parlé que d’énergie. Je trouvais (et trouve encore) que le raccourci spontané fournit une importante matière à réflexion.

Qu’est-ce que la « consommation énergétique » ?

Si vous avez téléchargé et lu l’essai « Le Design Énergétique des bâtiments », alors vous reconnaîtrez le schéma ci-dessous.

 Performance - schéma

Ce schéma, initialement créé pour le bâtiment est valable pour n’importe quel système ou organisation. Il pose un principe fondateur du Design Énergétique : « La consommation énergétique est l’écart à combler entre le fonctionnement naturel d’un système et les exigences de l’usage ». Ainsi, l’objet d’étude du Design Énergétique n’est pas le système lui-même (un bâtiment, un vêtement, un réfrigérateur, etc.), mais la relation et l’adéquation de l’objet avec l’usage associé. Les implications sont immenses, et sont l’objet de tout ce que j’écris dans ce blog. Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, néanmoins, il est important de noter ceci :  il n’y a pas de correspondance exacte entre une faible consommation énergétique et un objet « performant ».

Deux exemples pour illustrer

  • Régulièrement, le concepteur de bâtiments à basse consommation est soupçonné « d'interdire l'ouverture des fenêtres ». On supposerait que c'est le prix à payer pour une performance. Admettons que cela existe… très franchement, même si cela me permet d’obtenir un bâtiment qui ne consomme rien, vous ne pensez pas que personne (et surtout pas moi) ne veut qu’on lui dise s’il a ou pas le droit d’ouvrir les fenêtres ? C’est économe… mais ce n’est pas performant.
  • les ampoules à LED se sont largement répandues et améliorées ces dernières années, fournissant un éclairage de niveau important pour de très faibles consommations énergétiques… Elles sont disponibles en différentes « températures de couleur », ou teintes. Avez-vous déjà (peut-être par erreur…) acheté une ampoule avec une température de couleur supérieure à 4000 K ? Dans ce cas, vous avez probablement considéré que, certes, cela consomme peu et éclaire beaucoup. Mais vous n’avez aucune envie d’avoir la sensation de vivre dans un parking éclairé aux tubes fluo…C’est économe… mais ce n’est pas performant.

Extrait de : « Sur le fil des 4000 », film de Gilles Chappaz.performance - patrick

« J’aime la performance pour ce qu’elle représente dans la démarche et le chemin de l’homme. Pour les pensées, les efforts, les conceptions, pour l’adaptation qu’elle demande. Mais je ne suis pas attaché à la performance pour la performance »

-PATRICK BERHAULT-

 

Définir la performance

J’utilise depuis quelques années une définition « symbolique » pour décrire ce que je considère comme la performance : Un rapport intéressant entre le service rendu (notion très subjective !) et le « coût » général pour obtenir ce service. performance - equation

Cette équation ressemble assez à ce que propose Socrate dans le livre Le guerrier pacifique, de Dan Millman. L’euro que j’utilise dans le symbole représente en fait n’importe quoi de « coûteux » : de l’argent, de l’énergie, de la colère, du temps, des ressources humaines, de la nourriture, etc. Le smiley, lui, représente le niveau de satisfaction atteint, et il est lui-même le rapport entre deux choses : ce que j’ai, et ce que j’attends.

performance - prendre soin

La performance : objective ou subjective ?

Vue de cette manière, la « performance » contient donc une très forte dose de subjectivité, car « ce que j’attends », c’est très variable selon la personne considérée ! Reprenons le cas d’une école, comme je l’ai évoqué en introduction : comment évaluer sa « performance »? Au nombre d’élèves accueillis ? À la vitesse d’apprentissage de la lecture ? Au nombre de réclamations des parents ou de l’inspecteur d’académie ? En comptant les enfants heureux ? En mesurant le turn-over du personnel ? Un peu de tout ça, certainement, et à des niveaux variées selon l’interlocuteur. Comme souvent, l’intérêt d’un tel petit jeu n’est pas tellement de trouver la bonne réponse, quand bien même elle existerait. Il est de bien de reposer la question du service rendu. Comment, ainsi, évaluer la performance d’un spectacle son et lumière ? La rentabilité d’une aire de jeu ? La rentabilité d’un enfant ? Certains pans de l’analyse peuvent être rationalisés, d’autres resteront toujours subjectifs… Cette subjectivité est loin d’être un inconvénient. Elle est au contraire tout ce qui fait la différence entre une conception déshumanisée (« la performance pour la performance ») et une conception au service de la vie. Elle pose néanmoins de nombreuses questions aux concepteurs de tous domaines. Par exemple, elle « sort » l’ingénieur de la pure théorie, du monde sécurisé des chiffres et des normes. Dans de nombreux domaines (par exemple le bâtiment !), c’est encore très inhabituel. Elle demande aussi d’admettre qu’à terme, les seuls personnes aptes à évaluer une performance sont les utilisateurs, car ce sont les seuls à disposer des réels critères d’évaluation, propres à leur contexte. On est loin des discours de toute-puissance propre à de nombreuses stratégies de communication ! Cela implique qu’il n’existe pas de produit miracle, mais seulement des couples objets/utilisateurs bien assortis et bien informés.

Conclusion

En ce qui me concerne, je considère la présence d’une part subjective dans la notion de performance est la seule chance que nous avons de remettre du sens dans les conceptions que nous menons. Reconnaissons enfin que nous ne sommes pas les mieux placés pour juger de la performance finale ! Cela implique que nous nous mettions dès le début du travail dans une démarche « au service de ». Et c’est, je crois, ce qu’il y a à la fois de plus plaisant, efficace et noble dans le travail de conception énergétique.