Maison autonome : les principes fondamentaux

La première question que je pose à quelqu’un qui me demande de réfléchir à la future performance énergétique d’un bâtiment à construire ou à rénover, c’est : « quel est votre objectif ? ». Et en ce qui concerne les maîtres d’ouvrage privés qui me contactent pour leur future maison, j’ai de plus en plus cette réponse : « je souhaite être le plus autonome possible ».

La question de l’autonomie n’est pas nouvelle…

Le premier livre que j’ai lu sur le sujet, il y a bien longtemps, celui de Patrick Baronnet, soulignait déjà que ces histoires commencent souvent par l'angle technique (par exemple, « couper le compteur EDF ») pour nous emmener logiquement vers des sujets beaucoup plus complexes, telle l’interconnexion entre les êtres humains et les territoires.

Comme souvent en Design Énergétique, il m’a semblé que pour beaucoup de ceux qui rêvent des « bâtiments autonomes », le.s problème.s à résoudre étai.en.t bien souvent insuffisamment défini.s.

C’est donc l’objet de cet article de proposer une approche logique et systématique de l’autonomie. Une manière de « réfléchir droit »… S’il peut,  vous aider à bien poser votre "problème d’autonomie", je n’aurais pas perdu mon temps.

Avertissement : si ce que vous cherchez, ce sont les «recettes techniques » de l’autonomie, vous n’êtes pas au bon endroit. Mais lisez tout de même l’article : il vous évitera de chercher ces recettes, en vous montrant qu’elles n’existent pas, ne peuvent pas exister.

 

Être autonome, c’est quoi ?

J’aime assoir l’idée d’autonomie auprès des bébés et des jeunes enfants… mais aussi des personnes âgées. Car c’est bien souvent là qu’on en parle, qu’il s’agisse de « gagner en autonomie » ou de « rester autonome ».

La compréhension est immédiate : il s’agit de pouvoir se débrouiller par soi-même. Chez l’enfant (et chez la personne âgée), « être autonome », c’est savoir s’habiller, savoir organiser sa vie, se nourrir, etc. Bref : pouvoir se rendre service à soi-même sans aide extérieure.

Un exemple pour mieux comprendre

Considérons Kevina, petite fille de 4 mois. Elle est sur le ventre au milieu du séjour. La girafe Sophie se trouve à 2 mètres. Kévina ne sait pas encore ramper, mais elle veut la girafe Sophie. Et elle constate très bien qu’il y a un écart entre ce qu’elle voudrait (suçouiller la girafe Sophie qui fera « couic couic ») et ce qu’elle a (être sur le ventre à se tortiller sans girafe).

Autonomie - Sophie la girafe

Depuis la nuit des temps, c’est à ça que nous sert l’énergie. À combler cet écart entre ce qu’on veut et qu’on a. À condition de pouvoir la mobiliser…

Et c’est ce que Kevina constate : elle n’est pas encore capable de convertir efficacement son énergie en déplacement. C’est très frustrant. Elle n’est pas autonome. Heureusement, un prestataire de service extérieur (Papa, en l’occurence, mobilisé d’un efficace « ouuuuuuuiiiiiiiiiiinnnnnnn »), a acquis cette capacité. Il en fait gracieusement bénéficier Kévina en lui apportant la sympathique girafe Made in Haute-Savoie.

Est autonome, donc, quelqu’un qui est capable de se rendre à soi-même le service dont il.elle a besoin. C’est une définition fort générale, et puisque nous sommes ici sur le blog du Design Énergétique, nous allons la restreindre : est autonome sur le plan énergétique quelqu’un qui est capable de se fournir à soi-même le service énergétique dont il.elle a besoin.

Cela reste très vaste. Et vous soupçonnez probablement déjà que cette définition ne colle pas tout à fait avec ce qu’on comprend habituellement comme « autonomie énergétique ».

Vous soupçonnez bien…

À l’origine de l'autonomie, le service énergétique

En Design Énergétique, nous distinguons trois grandes familles de services énergétiques :

  • Les services liés à la chaleur, qu’on subdivise parfois en « chaleur basse température » (ce qui a trait au confort humain, bien souvent) et « chaleur haute température » (qu’il s’agisse de process industriels ou d’eau chaude sanitaire).
  • Les services liés à l’énergie mécanique, c’est à dire tous les déplacements ou déformations.
  • Les services liés à l’information/conscience, c’est à dire tout ce qui permet de transmettre une information entre deux consciences.

Note : Si vous n’êtes pas familier.e avec la troisième catégorie, il est possible que vous regroupiez ces services dans la famille « électricité spécifique ». Je vous renvoie alors à cet article.

Nous n’allons certainement pas ici traiter de l’ensemble des sujets liés à ces services, une vie y suffirait à peine. (Si cela vous intéresse, nous proposons des formations). Mais attachons-nous à comprendre ce qu’implique la notion d’autonomie quand il s’agit de ces services.

Être autonome en chaleur basse température ?

Cette formulation un brin ésotérique ressemble à ce qu’on appelle bien souvent « être zéro énergie en chauffage », tout en étant plus vaste.

Il s’agit donc de s’organiser pour « se donner à soi-même le confort qu’on attend ». Pour cela, l’ensemble des outils du design énergétique est accessible, de l’action sur le métabolisme jusqu’au pilotage de systèmes énergétiques actifs.

Depuis l’aube de l’humanité, certaines stratégies ont été largement utilisées avec pas mal de succès. On peut citer en particulier :

  • Le fait de choisir de vivre sous un climat qui correspond à notre espèce, comme le font la plupart des animaux, quitte à migrer au fil des saisons.
  • Le fait de construire des abris aptes à créer des micro-climats, quitte à « migrer dans la maison » au fil des saisons.
  • Le fait de s’habiller d’une manière adaptée au climat, bien souvent en récupérant la peau ou la fourrure d’animaux eux-mêmes adaptés au climat.

Ces trois stratégies majeures ont permis à l’Humanité d’habiter des régions sans utilisation massive d’énergie à usage de chaleur. Le fait que l’énergie (la chaleur) soit parfois rare imposait de la préserver et de la réserver à certains lieux et moments spécifiques, de véritables « havres de chaleur ».

Il suffit d’imaginer ce qu’est la vie dans un Igloo, même si on n’y vivait « que » trois ou quatre mois dans l’année, pour comprendre la logique profonde de cette "autonomie".

Être autonome en chaleur haute température ?

La vie domestique comporte relativement peu de services « haute température ». Pendant longtemps, l’unique service de ce type était la cuisson des aliments, dont on récupérait une partie de la chaleur fatale pour fabriquer de l’eau chaude.

Cette eau chaude est progressivement devenue « sanitaire », et sa production est devenu un poste énergétique majeur dans les habitats.

De fait, les services de type « chaleur à haute température » demandent une forme de « concentration » de l’énergie thermique, afin que la température de la matière chauffée soit nettement supérieure à celle de l’ambiance. Pendant bien longtemps, les seuls moyens d’y parvenir étaient la combustion ou l’accumulation d’énergie solaire, l’utilisation de cette dernière étant bien documentée depuis le 18ème siècle. Ce n’est que plus récemment qu’on s’est tourné vers la fée électricité, beaucoup plus facile à manipuler, pour fournir ces services.

Rappelons également, comme je l’ai expliqué dans cet article, que c’est bien souvent autour de cette source de chaleur haute température (le fourneau, la cuisinière, etc.) que s’organisait la vie de la maison. Remarquons enfin que nous avons vécu très, très longtemps sans des quantités importantes d’eau chaude sanitaire, rendant de fait l’autonomie beaucoup plus facile à atteindre.

 

Être autonome en énergie mécanique

Nous entrons, avec l’énergie mécanique, dans un domaine déjà beaucoup moins habituel de la réflexion sur l’autonomie, et cela pour au moins deux raisons : 

  1. D’abord, bien sûr, parce que le transport est tellement facile à notre époque, que nous en avons presque oublié la très forte influence du lieu (et du mode) de vie sur notre consommation en transport. Pendant fort longtemps, pour la majorité des gens, les déplacements se résumaient à aller à l’église, au marché et au travail, des lieux souvent proches. La seule énergie disponible au quotidien provenant des muscles (humains ou animaux), les distances parcourues n’étaient pas gigantesques. Même le facteur Cheval, avec sa tournée quotidienne de 30 km à pied, ne parcourait guère plus de 10 000 km par an... Et nous sommes aujourd'hui à une époque où pour nombre de personnes, faire l’équivalent de 10 000 pas par jour est un "objectif".
     
  2. L’autre versant de la non-autonomie, c’est la technologie. Ma grand-mère savait encore réparer elle-même son précieux vélo. C’était son seul moyen de transport, mon grand-père lui avait offert en bague de fiançailles, et elle l’a conservé jusqu’à son décès à plus de 80 ans. Elle ne pouvait fabriquer ni l’objet ni les pièces, mais conservait un niveau d’autonomie élevé. Un peu plus tard, lorsqu’en 2004, je changeais le châssis de ma 2CV, réglais les culbuteurs ou réparais les banquettes, j’étais relativement autonome tant que le Méhari Club de Cassis me fournissait des pièces. Aujourd’hui, qu’on roule en Twizy, en Yaris Hybride, en Tesla ou en Porsche Cayenne, la dépendance au fabricant/réparateur est totale. Le problème est identique avec les vélos à assistance électrique

Au delà des déplacements, l’habitat consomme également de l’énergie mécanique pour de nombreux services : l’entretien (balai ou aspirateur ?), le bricolage (machines à bois, visseuses, perceuses, etc.), l’hygiène (rasoir électrique, épilateur, sèche-cheveux, VMC, etc.) et même… le chauffage, avec ses pompes et circulateurs.

On le voit, s’attaquer à la question de l’autonomie en énergie mécanique demande de « rentrer dans le dur », et de questionner à la fois des services auxquels il est difficile de renoncer, et d’envisager des moyens de fourniture qui nous évoquent rapidement l’époque pré-industrielle…

Note : les exemples sont assez rares de bâtiments conçus avec une visée d’autonomie incluant le transport. La « maison ZEN », du bureau d’études Cythélia, en fait partie.

Être autonome en information/conscience

Sur les chantiers de bâtiments un peu importants, le lot « électricité » comporte deux parties distinctes : les courants forts et les courants faibles. Les courants forts, ce sont ceux qui servent à « faire fonctionner les choses », ils transportent de la puissance pour faire tourner les machines et les moteurs. Les courants faibles, ce sont ceux qui véhiculent de l’information, souvent à travers un réseau RJ45.

L’avantage de cette distinction, c’est qu’elle introduit (enfin !) une notion de finalité dans le flou des « usages spécifiques de l’électricité ».

Au stade où nous en sommes, on peut dire que nous avons déjà parlé dans les paragraphes précédents des utilisations de l'électricité visant à produire de la chaleur ou de l’énergie mécanique. C’est bien pratique : cela permet d’avoir une pure notion quantitative, gérable par une approche technique. Il suffit de calculer la quantité d’électricité à produire, d’en déduire un dimensionnement de la production, et le tour est joué, nous sommes « autonomes ».

Mais non.

Cette approche permet de réfléchir les usages les plus « grossiers » de l’électricité, c’est vrai. Mais pas ce qui fait la spécificité de notre époque : ses usages de transports d’information.

Et nous entrons là dans un tout autre domaine, tirant le même type de fils que nous avons commencé à tirer sur le transport…

Lorsque je regarde un film en DVD, il me suffit d’alimenter mon ordinateur (qu’il a fallu fabriquer…). Mais lorsque je regarde en streaming, que je reçois un SMS ou discute avec mes collègues sur Zoom, il me faut autre chose. Un « quelque chose » d’une autre nature…

Ce « quelque chose » est d’ordre qualitatif, beaucoup plus que quantitatif, en tous cas à mon échelle.

Ce type de service, avant internet, était assuré par les livres, les courriers (on retrouve le facteur Cheval), les discussions à l’apéro, les spectacles et les cinémas. Il s’agit de liens, de connexions avec l’extérieur et de la manière dont nous nous nourrissons de l’extérieur.
Ainsi, réfléchir l’autonomie en termes d’information/conscience, c’est beaucoup plus vaste que calculer la quantité d’électricité nécessaire. C’est se demander de quelle manière nous voulons rester connectés avec le monde extérieur, ou pas.

La question du périmètre

Ce que nous avons évoqué jusqu’à présent peut permettre d’explorer, pour chacun, la nature de l’autonomie recherchée. C’est déjà bien…

Mais souvenez-vous de la définition que je vous ai proposé en introduction : « être autonome, c’est pouvoir se fournir à soi-même le service dont on a besoin ». Ce qui apparaît ici, c’est la notion de périmètre, qui définit notre compréhension du "soi-même". J’aime l’aborder en (me) posant la question suivante : jusqu’où suis-je prêt à aller pour obtenir le service ?

L’avantage de cette formulation, c’est qu’elle permet de penser à des échelles communes de la vie quotidienne. Elle rejoint aussi les « six continents », habituels dans le Design Énergétique. Le plus simple est de se pencher sur deux exemples.

Ma jolie maison en Creuse

Imaginons que je veuille construire une maison sur un joli terrain de 1200 m2 à Fursac (23). Et passons rapidement sur la question de l’autonomie pour la construction elle-même (l'énergie grise). On pourrait d'ailleurs aborder exactement de la même manière...

Pour définir mon autonomie en service « chaleur », je peux décider au choix que :

  • Je veux que toute l’énergie primaire destinée à produire de la chaleur provienne de mon terrain : alors, il va falloir que je me débrouille avec le soleil, principal gisement énergétique que je peux estimer par calcul. Pour mon eau chaude, je me débrouillerai avec des capteurs thermiques. Pour la cuisson, je pourrai utiliser un four solaire comme Solar Fire France.
  • Je veux que toute l’énergie primaire destinée à produire de la chaleur vienne de la commune : je peux alors me baser (au moins en partie) sur le bois, vérifier s’il y a des campagnes d’affouage, discuter avec mon voisin agriculteur, etc.
  • Je veux que toute l’énergie primaire destinée à produire de la chaleur vienne d’un rayon de 50 km : j’ai de la chance, il y a à 43 km un fabricant de granulés.

Bien entendu, quelque soit le choix, mon niveau de dépendance sera fonction de mon exigence en niveau de service, et de la capacité de ma maison à gérer correctement les différents apports…

Je veux maintenant réfléchir à mon autonomie en service « information/conscience ». Je peux en toute liberté décider que :

  • Je ne veux pas de télévision chez moi : pour l’information sur le monde, je m’abonne au journal La Montagne et à Courrier International. Pour les films et documentaires, je me rendrai au cinéma de La Souterraine (service transport…) ou à la médiathèque.
  • Je veux travailler à distance, mais pas chez moi : je m’abonne à un espace de co-working à Guéret ou à Bonnat ce qui me fait encore du transport.
  • Le service « internet » ne fait pas partie de ma réflexion sur l’autonomie… je fais ce que je veux !
  • Je choisis de me contenter d’avoir un téléphone portable « de dealer », et non un smartphone, afin d’être joignable sans être connecté à un réseau 3G (la Creuse…), 4G (un jour…) ou autre…

Ce qui est amusant, dans cet exercice sur le service « information », c’est qu’il suscite des réactions souvent plus violentes que celui sur la chaleur. Comme si certaines autonomies étaient plus honorables que d’autres…

 


Alors, autonome ?

J’avoue que cette demande d’autonomie venant de mes clients me laisse perplexe…

Récemment, je questionnais une personne qui m’avait fait cette demande : Pourquoi voulez-vous être autonome ? Réponse : « ben… dans moins de deux ans, le monde se sera effondré, je veux mettre ma famille à l’abri ». Ça a le mérite d’être clair. Est-ce réaliste, quand bien même ce scénario se réaliserait ? Je n’en sais rien…

Je ne vois pas d’exemple, dans l’Histoire, d’individu ou de famille 100% autonome sur un territoire, même chez les peuples premiers.

  • Mike Horn n’est pas autonome, il ne pourrait pas fabriquer son équipement.
  • Le chantier de Guédelon n’est pas autonome, le métal des outils, la nourriture doivent venir d’ailleurs.
  • Les pionniers américains n’étaient pas autonomes, ils se fournissaient au General Store.

Aussi loin qu’on remonte dans l’histoire humaine, nous avons vécu en groupe, formant société, et pas seulement parce que c’est plus pratique pour accéder à la nourriture, construire des abris ou éviter la consanguinité. Parce que ce sont les liens qui nous constituent. Plus précisément, comme nous l’a souvent répété le regretté Albert Jacquart, « Je suis les liens que je tisse avec les autres ».

C’est en cela que le titre du livre de Patrick Baronnet résume précisément ce dont il s’agit : passer de la « maison autonome » à « l’économie solidaire ». Une économie au sens littéral, une manière de réfléchir la distribution des ressources et des biens.

Au final, donc, l’autonomie pour elle-même, et surtout quand elle est insuffisamment définie, ne me semble ni complètement possible, ni désirable.

En revanche, lorsque la réflexion sur l’autonomie nous amène à questionner notre relation au monde, aux autres et à définir le niveau de ce qui nous semble juste pour nous construire des vies d’humains conscients, elle est bien sûr passionnante.

Et là encore, la réflexion énergétique se révèle, non pas une fin en soi, mais une ouverture sur notre position d’être humain et de citoyen du monde.