Qualité de l’air : comment la mesurer en faisant des crêpes ?

  • Pratiquer le Design Énergétique
  • 06 Février 2018
  • 2 commentaires

J’adore les crêpes. Je trouve qu’elles permettent facilement de se sentir à la fois cuisinier inventif et papa attentionné. Un petit « et si on faisait des crêpes ce soir ? », et la journée est relancée. Les enfants ne tardent pas à me rejoindre pour ajouter lait et oeufs (coquille, parfois), puis je peux frimer en les faisant sauter et virevolter. J’en fais donc très régulièrement. Les trois derniers verbes s’appliquent évidemment aux crêpes, pas aux enfants.

Donc lorsque, pour la Chandeleur, mon frère Laurent est passé dans la région et m’a lancé une proposition par un SMS laconique, je n’ai pas hésité une seconde. Il disait : « Ce soir, je te fais des crêpes vintage. On se retrouve chez Maman à 20h ». Il avait ajouté le lien vers une vidéo intitulée « Les crêpes vintage de Raymond Oliver ». Je vous invite à découvrir ce monument télévisuel et culinaire. J’en ai autant apprécié le visuel que les commentaires plein d’esprit qui suivaient. Je trépignais. Pourtant, les risques que j’allais encourir lors de cette Chandeleur n’étaient pas du tout ceux que j’imaginais. J’allais être confronté au mystère de la Crêpe Sournoise.

 

Le Mystère de la Crêpe Sournoise : les faits

 

Quand je suis arrivé, la pâte était prête, et n’avait plus qu’à être « détendue », comme dit la recette. Cela nécessite environ un litre de bière (pour 8 oeufs), qui s’ajoute au presque demi litre d’un mélange rhum/pastis déjà versé pour aromatiser. Cela fait un peu d’alcool, je vous l’accorde. Pourtant, ce dosage impressionnant donne une fausse impression du résultat final : des crêpes lègeres, au parfum envoûtant, et… sans alcool.

Mais bien sûr ! En bon énergéticien, j’ai vite compris, comme vous, que tout l’alcool s’évapore à la cuisson. Aucun risque, donc, les enfants, absents ce soir là, auraient pu en manger.

Nous enfournions donc gaillardement crêpe sur crêpe, car on en mange entre 25 et 30 par personne, nous disait Raymond Oliver en 1954.

Quand brusquement Laurent, qui officiait à la cuisson se retourna et dit avec un peu de difficulté : « euh… quelqu’un peut me relayer ? J’ai un coup de moins bien… ». Il avait certes fait du sport aujourd’hui, était arrivé fatigué, bien normal après tout. Je m’offre de le relayer, le laissant se reposer l’oeil vitreux et l’élocution lente.

Quinze crêpes plus loin, je n’étais pas en meilleur état que lui. Les dames restées à table commençaient visiblement à rosir. Bref, tout le monde commençait à être saoul. J’ai essayé d’accuser le cidre, qui titrait un sévère… 2% d’alcool. Aïe, il faut trouver un autre coupable. Nous avons fini la pâte, et sommes péniblement rentrés (à vélo, bien sûr) dormir. Au matin, un constat et une question. Le constat : une chance que les enfants fussent absents ! La question : mais que s’est-il donc passé ? Et c’est là qu’une réflexion énergétique typique va nous aider, et vous rassurer par la même occasion sur l’intérêt de cet article. Ouvrons l’enquête sur le Mystère de la Crêpe Sournoise.

 

Bilan énergétique de la cuisson des crêpes

 

En matière d’énergie, souvent il faut compter. On parle ainsi de « comptabilité énergétique ». Sur le fond, c’est assez simple : on compte ce qui entre et ce qui sort au cours de transformations énergétiques. Cela permet de mieux voir l’énergie réellement utile au service visé, et celle qui est perdue dans le processus.

On peut appliquer un tel raisonnement à tout système ou processus, que ce soit la Terre (ce que fait le GIEC pour étudier le changement climatique), la France (ce que fait négaWatt pour envisager la Transition Énergétique) ou la Chandeleur.

Dans notre cas, même pas besoin de compter précisément, les grands principes nous suffiront. La question aujourd’hui n’est pas d’envisager l’efficacité énergétique de la Chandeleur (beau sujet, par ailleurs !), mais de résoudre le Mystère de la Crêpe Sournoise.

Suivons donc le « chemin » de l’énergie pendant la cuisson des crêpes. Laurent chauffe la crêpière, verse une louche de pâte, et attend. L’énergie sert alors :

  • à augmenter la température : on passe d’une pâte froide à une crêpe chaude. C’est un phénomène thermique.
  • à coaguler les protéines : on passe d’une pâte liquide à une crêpe solide. C’est un phénomène chimique, transformant des molécules en d’autres.
  • à évaporer des liquides : on passe d’une pâte alcoolisée à une crêpe sans alcool (ou presque). On évapore également de l’eau (celle des oeufs, du lait), ce qui fait la différence en une crêpe sèche et une crêpe moelleuse. C’est un phénomène physique, avec des changements de phase.

Cela, j’étais capable de le comprendre tout en mangeant les crêpes, le ventre plein et l’esprit satisfait d’avoir compris pourquoi l’aliment était sans alcool. Mais cela n’explique pas pourquoi nous étions tous, malgré tout, fin saouls. C’est que, malheureusement, j’ai commis deux erreurs, deux oublis fatals :

  • comme (presque) n’importe quel exploitant de système énergétique jusqu’aux années récentes (incinérateur d’ordures, centrale nucléaire ou barbecue du dimanche), j’ai « oublié » de m’intéresser suffisamment aux rejets gazeux de mon process.
  • j’ai oublié de prendre en compte que nous faisions les crêpes chez Maman. Et « chez Maman en 2018 », c’est très différent de « chez Raymond Oliver en 1954 ».

Voyons cela…

 

Le mystère de la Crêpe Sournoise : les rejets gazeux

 

Dans mon parcours d’énergéticien, j’ai compris très tard l’oubli que l’on fait très facilement concernant les rejets gazeux. Le déclic a été pour moi la rencontre avec une personne travaillant sur les incinérateurs d’ordures ménagères. Il n’appelait pas ce traitement « incinération », mais « dispersion atmosphérique des déchets ». Seuls les mots changent, mais la différence de perspective est de taille. On passe d’une sorte de disparition magique à une simple redistribution des composants, même s’ils perdent en visibilité au passage. Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme, et cela reste vrai dans les combustions/évaporations.

En quoi cela explique-t-il nos crêpes sournoises ?

Vous l’aurez noté, Raymond Oliver ne nous propose pas une recette de crêpes flambées. Si c’était le cas, l’alcool évaporé par la chaleur serait joliment brûlé. Les produits de cette combustion  seraient de l’eau et du dioxyde de carbone. Rien de bien méchant.

Mais dans les crêpes « vintage », rien de cela : l’alcool est simplement évaporé. L’alcool liquide de la pâte est simplement devenu de l’alcool gazeux dans l’atmosphère.

Voilà qui résout une partie du mystère : celui qui officie à la cuisson se tient le nez au dessus d’un évaporateur à alcool. On peut comprendre qu’au bout de 15 à 20 minutes, cela devienne difficile.

« Vous n’aviez qu’à allumer la hotte ! », me direz-vous. La hotte était allumée, vous répondrais-je, mais rien n’y fit. Pourquoi ? Parce que nous sommes chez Maman, en 2018. Et cela explique pourquoi ces dames restées à 3 mètres du poste de cuisson étaient également pompettes.

 

Le mystère de la Crêpe Sournoise : ventilation et recirculations

 

Raymond Oliver officiait dans les années 50, plus de 20 ans avant les premières réglementations thermiques. Peu isolés, les logements étaient très majoritairement ventilés (et fort ventilés !) par les défauts d’étanchéité du bâti. Il y en avait beaucoup, les logements étaient donc, comparés à aujourd’hui, peu efficaces, mais plutôt aérés. Et puis on avait la culture de la fenêtre ouverte, y compris en hiver. On estime les renouvellements d’air (quoique très aléatoires) comme variant de 3 à… 60 vol/h. L’air de la pièce est renouvelé en 1 à 20 minutes. Quand il y avait une hotte, elle était souvent « à extraction », c’est à dire qu’elle rejetait l’air à l’extérieur, augmentant encore les débits.

En 2017, Maman emménagea dans un bel et pratique appartement tout neuf. Je l’avais moi-même évalué comme « honnêtement réalisé », et je ne suis pourtant pas commode. Un test d’étancheité à l’air avait été réalisé pour justifier de la performance. La ventilation toute neuve (une simple flux hygro) fonctionne correctement et assure les débits hygiéniques. Ceux-ci sont, classiquement, de 0,5 à 1 vol/h. Cela signifie que l’air de la pièce est entièrement renouvelé en une à deux heures.

La hotte est un modèle aujourd’hui classique, dit « à recirculation ». L’air est aspiré, filtré, et rejeté au dessus de la hotte, dans la pièce. L’appareil n’extrait donc aucun air intérieur vers l’extérieur, il ne fait que « nettoyer » les gaz de cuisson de leurs graisses et odeurs.

Cela ne devait donc beaucoup gêner Raymond Oliver d’évaporer un quart de litre d’alcool pur pendant la cuisson des crêpes, car tout cela partait dans les courants d’air. Mais chez Maman, en 2018 avec des fenêtres fermées et une hotte à recirculation, ce n’est pas du tout pareil. Tout ce que n’a pas reniflé le cuisiner se retrouve en suspension dans l’atmosphère de la pièce. Et vu les débits, ca y reste un bon moment ! Tout le monde en profite, tout le monde est saoul, même ceux qui ne venaient que pour déguster des crêpes agréablement parfumées.

Bienvenue dans le monde de l’alcoolisme passif…

 

Le mystère de la Crêpe Sournoise : qu’en conclure ?

 

Cette histoire nous a bien fait rire, autant sur l’instant (évidemment) qu’après. Mais plus le temps passe, moins cela m’amuse.

D’abord parce que les enfants auraient vraiment pu être présents, et qu’à cinq ans, c’est un peu tôt pour se saouler au mélange bière/pastis/rhum. Également parce que j’ai failli, de bonne foi, inviter mon ami Seb qui ne consomme jamais d’alcool. J’aurais été très ennuyé de le piéger. Et encore son refus de l’alcool n’est-il pas motivé par des raisons médicales ou religieuses…

Mais surtout, cette expérience m’a semblé une parfaite démonstration de notre ignorance en matière de ventilation des logements. Là, il ne s’agissait « que » d’alcool, dont les effets ont l’avantage certain de se sentir très vite et de ne pas durer. Mais le phénomène est exactement le même pour tout gaz émis dans le logement : un solvant de colle ou de peinture émis par des meubles, un produit de combustion de bougie, d’encens ou de cuisson, etc. Nous nous sommes très temporairement empoisonnés à l’alcool parce que nous avons émis en toute innocence un composé actif que le logement met du temps à évacuer. C’est exactement pareil avec tout composé volatil.

D’une certaine manière, nous avons testé de manière amusante la qualité de la ventilation de l’appartement. On apprend au lycée à manipuler les produits chimiques sous une hotte spécifique. Je sais maintenant que cette recette de crêpes présente certains risques si elle n’est pas réalisée dans les conditions adéquates.

Je vous encourage donc à les réaliser, tant cela dépasse tout ce que je connais en matière de crêpes. Mais gare aux ventilations !  Je ne voudrais pas que votre intérêt pour le Design Énergétique vous entraîne vers l’alcoolisme.